DROIT D'AUTEUR, MODE D'EMPLOI

Mise à jour : 27 novembre 2000

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Ce texte est destiné aux professionnels de l’information-documentation et plus généralement à toute personne se posant des questions sur la diffusion de l’information professionnelle et le droit de copie que cela suppose.

Les paragraphes qui suivent présentent synthétiquement le système français de droit d’auteur et son principal avatar : le droit de copie. Nous avons souhaité pour cette synthèse faire ressortir les points essentiels à retenir dans notre optique professionnelle. A ce niveau, beaucoup des distinctions juridiques, parfois subtiles, ont été volontairement ignorées. 

I) Objet du droit d’auteur

A) Vue d’ensemble

Le droit d’auteur protège toute création intellectuelle de l’homme (on parle "d’œuvre de l’esprit"). Dès l’instant qu’une création de l’esprit naît et qu’elle est considérée comme originale (au sens juridique), quelle qu’en soit sa forme, son mérite, sa destination et son genre, elle se trouve protégée par un droit de propriété incorporelle.

Il faut qu’il s’agisse d’une "création" au sens concret de ce mot. En d’autres termes, il faut qu’il y ait une mise en forme pour faire naître la protection. Les conséquences de cette règle souvent méconnues par les non juristes et négligées par bien des praticiens sont immenses pour nos métiers de la transmission de l’information, comme nous allons le montrer plus loin. Il convient donc d’insister sur la nature et surtout l’étendue réelle de la protection par le droit d’auteur. 

B) Mise en forme, idée et information

Si seule la mise en forme de l’œuvre est protégée, il en résulte a contrario que l’idée qui a présidé à la création de celle-ci n’est pas protégée. C’est un fait constant dans tous les systèmes juridiques connus que l’idée est de libre parcours (pour reprendre l’expression juridique héritée du français du XVIIIe Siècle). En d’autres termes, les idées n’appartiennent à personne, ou plutôt elles appartiennent à tout le monde. Elles ne sont susceptibles d’aucune appropriation directe (les cas de brevetabilité sont une illustration d’une protection indirecte : l’idée se résout en un processus de fabrication industrielle qui lui, est protégé). La solution semble très humaine. Les idées appartiennent au fonds commun de l’humanité. Leur liberté de circulation est la condition essentielle de l’accès à la connaissance (reconnue d’ailleurs par la déclaration universelle des droits de l’homme). Or qu’est-ce qu’une information (objet de notre travail quotidien) si ce n’est quelque chose de l’ordre des idées ? 

C) Dilemme professionnel : œuvre d’auteur et information

On voit toute de suite la difficulté qui se pose à nos métiers : comment transmettre l’information, qui elle, est libre, sans emprunter à la mise en forme de l’auteur, c’est-à-dire sans reprendre ni ses mots ni sa "disposition des matières" ? On voit peut-être la seule solution légalement acceptable : réécrire tous les textes d’information professionnelle ; en extraire l’information et la reformuler avec des mots à nous…

Nous touchons ici du doigt l’absurdité d’une loi qui, à l’évidence, n’a pas été conçue pour les professionnels de l’information. Il est sûr qu’on ne peut tout réécrire, ne serait-ce que pour des raisons pratiques et d’efficacité. Nous verrons quelle parade juridique on peut opposer à cette limite légale théorique. 

D) Absence de formalité pour la protection

Le droit français, comme presque tous les systèmes juridiques aujourd’hui, accorde la protection à l’œuvre du seul fait de sa création et dès l’instant de sa naissance. Il n’est pas besoin de dépôt préalable comme en matière de propriété industrielle (marque, brevet…). L’œuvre qui naît est protégée et son auteur peut déjà exercer une série de droits sur son œuvre.

Une autre question sera celle de la preuve de la qualité d’auteur. En pratique cette question se pose assez rarement, encore moins dans le domaine de l’information professionnelle que dans le domaine purement littéraire. Il est cependant conseillé à un auteur de toujours se ménager un moyen de preuve de la paternité de son œuvre. 

II) Naissance des droits de l’auteur

Dès l’instant que l’œuvre est créée, une première série de droits s’y attachent : les droits moraux. Ce sera dans un second temps, à la suite d’un autre événement essentiel dans la vie de l’œuvre que la deuxième série de droits naîtra : les droits patrimoniaux. 

A) Les droits moraux (ou le droit moral)

Le droit moral de l’auteur est destiné à assurer le respect tant de l’œuvre que de l’auteur. Les deux attributs essentiels du droit moral sont donc le droit au respect de l’œuvre (ne pas dénaturer celle-ci,, ne pas l’altérer) et le droit au respect de l’auteur (obligation de mentionner son nom toutes les fois où son œuvre est exploitée). Nous n’insisterons pas sur ces deux aspects, tant ils rejoignent nos usages professionnels : toujours citer la source et garder la neutralité par rapport au texte.

Nous regrouperons l’autre série de droits moraux sous la même étiquette : il s’agit du droit de divulgation et de son inverse, le droit de repentir.

La divulgation consiste à porter l’œuvre à la connaissance du public, plus généralement, du monde, par une manifestation de volonté non équivoque. Le droit d’exercer cette divulgation appartient exclusivement à l’auteur. C’est lui qui par un acte volontaire met son œuvre dans le circuit économique (il porte la toile qu’il vient de peindre chez un marchand de tableau ; il propose son manuscrit à un éditeur ; il met son texte à la disposition du public sur Internet…). Lui seul peut accomplir cet acte de divulgation.

Cette divulgation n’est pas sans poser quelques questions dans l’exercice de notre profession. En effet, nous sommes parfois confrontés à des documents dont la divulgation n’est pas certaine. Il s’agit de toute la littérature grise ainsi que des documents internes à l’entreprise.

Le droit accorde un autre privilège à l’auteur : le droit de repentir. Celui-ci peut en effet retirer son œuvre de la circulation pour quelque raison que ce soit (le plus souvent parce qu’il la désavoue a posteriori). Concrètement un peintre peut faire détruire une de ses toiles qui se trouve entre les mains d’un collectionneur, moyennant bien sûr une "juste et préalable indemnisation". Pour des œuvres éditées, la manœuvre est plus difficile et en tous cas ne peut porter que pour les exemplaires non encore vendus, en stock chez l’éditeur. On imagine mal l’auteur courir le monde pour "rattraper" tous les exemplaires vendus et les arracher des mains de acquéreurs… Il s’agit là d’un privilège d’une force sans égale dans l’arsenal juridique de droit privé.

C’est à partir de la divulgation que vont naître les droits patrimoniaux. 

B) Les droits patrimoniaux (ou le droit patrimonial)

Dès l’instant de la divulgation, l’œuvre entre dans le circuit économique. C’est donc très logiquement que naissent alors des droits d’ordre patrimonial, c’est-à-dire mettant en jeu les intérêts pécuniaires de l’auteur. Le principe directeur est l’autorisation nécessaire de l’auteur pour toute exploitation de son œuvre. C’est pourquoi on les nomme parfois droits d’exploitation.

On peut dénombrer quatre droits patrimoniaux principaux :

Passons rapidement sur les deux derniers qui n’appellent pas de développements particuliers dans nos domaines.

Le droit de suite vise l’hypothèse où l’œuvre de l’esprit, incorporelle par essence, se trouve indissociable d’un bien matériel. C’est le cas d’une peinture attachée à la toile ; c’est aussi fréquemment le cas d’une sculpture. C’est tout le marché des objets d’art qui est donc visé par le droit de suite. Ce droit établit très clairement qu’à chaque fois que le bien matériel incorporant une œuvre d’art est vendu, il doit revenir un pourcentage de cette vente à l’auteur.

Les droits d’adaptation, de traduction, d’arrangement et de transformation concernent l’auteur d’une œuvre "première" pour laquelle l’une des opérations énoncées sont prévues. C’est l’auteur seul qui donne son accord pour une telle œuvre dérivée.

Nous étudierons plus en détail les deux droits essentiels de représentation et de reproduction. Pour clore cette présentation générale, il convient de s’attarder encore un instant sur les droits moraux et patrimoniaux dans leur ensemble. 

III) Vie et mort du droit d’auteur

Contrairement à une opinion généralement répandue, le droit moral de l’auteur est perpétuel. Il protège l’œuvre de toute dénaturation et la mémoire de son auteur pour l’éternité. Conséquence logique d’un tel caractère, le droit moral est incessible, attaché à la personne de l’auteur, et transmis par héritage.

Au contraire, les droits patrimoniaux ont une durée de vie limitée. Ils sont en outre logiquement cessibles et négociables. Cessibles : on peut les céder à un tiers ; négociables : ils peuvent faire l’objet d’une rémunération en échange de la cession.

La durée des droits patrimoniaux est aujourd’hui portée uniformément dans tous les pays de l’Union européenne à 70 après la mort de l’auteur. Passé ce délai, l’œuvre est dite tomber dans le " domaine public ". Cette notion nous amène à dissiper une confusion fréquente entre diverses notions proches. 

IV) Œuvres exclues, œuvres déchues

Il ne faut en effet pas confondre œuvre tombée dans le domaine public avec œuvre exclue du droit d’auteur. Partant de cette simple distinction, divers cas de figure se présentent.

L’œuvre tombée dans le domaine public est celle dont le droit patrimonial ne peut plus être exercé parce qu’arrivé à échéance (70 ans après la mort de l’auteur). Mais le droit moral demeure toujours sur cette œuvre. Celle-ci ne peut donc, en principe être dénaturée et on doit toujours l’attribuer à son auteur.

L’œuvre exclue du droit d’auteur est une œuvre qui, pour des raisons logiques ou pour des impératifs définis par la loi n’entrera jamais sous la protection du droit d’auteur.

Dans le premier cas, il ne s’agit pas d’une œuvre protégeable, parce que dépourvue d’originalité au sens du droit.

Ainsi en est-il des nouvelles de presse qui par leur banalité ne portent pas l’empreinte de la personnalité de leur auteur (ce qui est la définition de l’originalité). Titrer " Mitterrand à Moscou " lorsque ce dernier s’y rend, n’a rien d’original, il s’agit de la simple désignation par des mots courants d’un fait.

Bien que la question soit discutée, il semble admis que les dépêches d’agence courtes soient également dépourvues d’originalité pour la même raison : elles reprennent des faits avec des mots simples. Mais cette solution ne saurait être admise pour des dépêches dont la teneur engage davantage la plume du correspondant ou du journaliste. (cf. aussi le cas des photographies)

Le deuxième cas concerne les actes officiels et les décisions de justice. Cette solution non écrite mais consacrée par une longue pratique juridique semble trouver son fondement dans l’adage Nul n’est censé ignorer la loi. En effet, si nul ne doit ignorer la loi, il est inconcevable qu’on freine la circulation de celle-ci par le mécanisme du droit d’auteur. La solution française prévoit donc que les actes officiels soient totalement exclus du champ d’application du droit d’auteur. Si l’on s’en tient logiquement au fondement de cette règle, il apparaît que seuls les textes officiels ayant force obligatoire soient ainsi exclus du droit d’auteur (lois, décrets, arrêtés et aucun autre texte). 

De la même manière, nul n’est censé ignorer ce que décide le juge au nom de la loi. Il est donc admis que les décisions de justice entendues dans un sens strict (la décision rédigée par le magistrat et elle seule) soient exclues du droit d’auteur. 

La question se pose, contrairement à une opinion trop répandue, de la liberté de reproduction des normes ayant acquis force obligatoire suite à leur homologation par un arrêté ministériel.

V) Du droit d’auteur au droit de reproduction

Venons-en aux deux droits essentiels : représentation et reproduction. C’est surtout la reproduction qui nous occupera, mais il ne faut pas négliger la représentation, de plus en plus mise en œuvre dans nos pratiques, sans qu’on en ait forcément conscience. 

A) Le principe d’autorisation

Dès que l’œuvre est divulguée, seul l’auteur est investi du pouvoir de dire oui à une demande de reproduction (comme de représentation d’ailleurs). En d’autres termes, toutes les fois qu’on reproduit ou représente l’œuvre d’un auteur, il faut avoir obtenu l’accord de son auteur. Concrètement, en documentation, toutes les fois qu’on reproduit un document d’auteur, il faudrait logiquement demander l’accord à l’auteur. La loi a cependant prévu quelques exceptions à ce principe. 

B) Les exceptions : la libre reproduction

Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire certains usages de son œuvre, qui ne relèvent d’ailleurs pas forcément du droit de reproduction (ou de représentation). En d’autres termes, la loi a prévu des cas dans lesquels on peut librement reproduire une œuvre d’auteur.

La seule exception qui soit admise au droit de représentation est la représentation gratuite effectuée dans le cercle de famille. Il est utile de la mentionner, compte tenu du rôle qu’elle pourrait jouer dans les années à venir. Mais nous ne la développons pas ici (cf. ci-dessous VIII).

On classe généralement les exceptions au droit de reproduction en deux catégories :

1) Usage privé du copiste

S’agissant de l’usage privé, on connaît le célèbre usage privé du copiste. C’est la seule exception qui existe à ce titre : tout copiste est autorisé à faire pour son propre usage une copie d’une œuvre d’auteur. La solution n’est pas si simple qu’il n’y paraît.

En effet, des débats jurisprudentiels ont conduit à se poser des questions sur la plupart des mots de cette expression en apparence anodine usage privé du copiste.

Il n’est pas douteux qu’usage signifie utilisation personnelle et individuelle de l’œuvre ainsi copiée. En conséquence, usage doit s’entendre d’une copie unique par copiste.

Jusqu’à une date assez récente, on pouvait penser qu’était nommé copiste la personne qui effectuait la copie. Un célèbre arrêt de la Cour de Cassation est venu jeter le trouble dans les esprits en considérant que dans certains cas le copiste est plutôt la personne (ou l’organisme) qui a fourni les moyens d’effectuer le copie. C’est ainsi qu’en 1984, l’arrêt Rannou-Graphie a considéré qu’un copy-service devait être considéré comme le copiste au sens de la loi dès l’instant que, détenteur du photocopieur, il l’avait alimenté en électricité, en encre et en papier et en avait retiré un bénéfice analogue à celui d’un éditeur. C’est bien sûr cette dernière notion, de concurrence parasitaire, qui a présidé au choix de cette solution sans laquelle il était difficile de condamner les copy-shops en libre service.

La dernier en date des états d’âme terminologiques porte sur le mot privé. Qu’entend-on par usage privé ? Jusqu’alors, on considérait qu’un usage non public et de plus individuel constituait un usage privé. Depuis peu (dès 1987 en fait) une thèse lancée semble-t-il par les éditeurs tendraient à faire admettre l’interprétation restrictive du mot privé. Serait ainsi usage privé, l’usage d’un individu pour sa vie privée. Dès lors tout usage dans un cadre professionnel, fût-il strictement individuel ne serait pas privé. On opposerait ainsi usage privé à usage professionnel. Pour être clair, cela signifierait que toute copie individuelle, dès lors qu’elle est effectuée dans un cadre professionnel, cesserait d’entrer dans le champ de l’exception d’usage et requerrait par conséquent l’accord de l’auteur… Cette thèse n’est aujourd’hui pas admise par la majorité des auteurs de doctrine en droit d’auteur. On comprend qu’une telle restriction à la libre reproduction ne peut que bénéficier à ses promoteurs, les éditeurs. 

2) Usages publics

S’agissant des usages destinés au public, la loi semble avoir été plus généreuse. Elle propose quatre grandes séries d’exceptions : Les analyses et les courtes citations sont autorisées dans la mesure où celle-ci s’incorporent dans une autre œuvre. Passons rapidement sur la notion trompeuse pour nos métiers de l’analyse, puisqu’est visée ici en fait la critique d’art, littéraire, etc. : elle suppose un jugement de valeur de l’auteur de l’analyse.

La citation, pour être licite doit être courte. La notion de courte citation s’apprécie dans la proportion entre la longueur de l’œuvre citée et celle de la citation extraite. En dernière analyse, c’est le juge qui apprécie au cas par cas la longueur de la citation. En outre, rappelons-le, pour être licite la courte citation doit s’inclure dans une œuvre citante. Une très célèbre jurisprudence (Microfor contre Le Monde) a estimé qu’une banque de données (ou un bulletin bibliographique) constituait valablement une œuvre citante justifiant la présence de courtes citations.

La notion de revue de presse appelle davantage d’explications.

A la lecture de la seule loi, on pourrait croire qu’une revue de presse, au sens où nous l’entendons en documentation, est licite. Or des juges sont venus régulièrement dissiper nos rêves et restaurer ce que le législateur n’avait pas osé transcrire : les revues de presse seraient l’apanage des organes de presse. Il s’agirait en quelque sorte d’un droit de se citer mutuellement, et ce droit leur serait réservé.

C’est forts de cette pratique jurisprudentielle que les éditeurs ont rebaptisé " nos " revues de presse en panoramas de presse, afin de bien distinguer le bon grain de l’ivraie. La revue de presse consiste à reproduire comparativement des articles émanant d’organes de presse différents sur un même sujet ou sur un même thème peut paraître licite. Mais celle consistant à fournir un panorama des événements et thèmes de l’actualité au travers d’articles de presse sélectionnés et sans redondance doit être considérée comme hors-la-loi (au vu de la lecture qui est faite de celle-ci aujourd’hui).

Les discours d’actualité sont les discours prononcés dans des lieux publics ou des assemblées publiques. Pendant le court délai que constitue l’actualité, leurs auteurs se voient suspendre l’exercice de leur droit en raison de l’impératif de circulation de l’information. Ainsi est reconnu par la loi un droit – d’intérêt général – à l’information qui vient faire échec momentanément au droit – d’intérêt privé – de l’auteur. Passé le délai d’actualité, l’auteur recouvre le plein et entier exercice de son droit d’auteur. 

VI) Du droit de reproduction au droit de copie

Nous entrons là dans les questions de terminologie, qui, comme très souvent, sous-tendent des débats lourds d’arrière-plans politiques et économiques.

Du droit de reproduction qui est un des éléments du droit d’auteur au droit dit de copie, il y a peu de choses, tout au plus un mouvement médiatique.

On entend couramment par droit de copie le droit de reproduire librement une œuvre d’auteur. Si le droit de reproduction appartient à l’auteur, le droit de copie (donc le droit de copier) appartiendrait à l’usager. Ce serait une sorte de conquête de l’usager professionnel ou final, si largement ignoré, négligé par les lois.

L’expression droit de copie aurait un autre avantage, celui de gommer du langage français l’expression copyright encore trop souvent employée de manière abusive.

Par delà le respect du français, l’usage du mot copyright contribue à entretenir un malentendu entre deux systèmes juridiques distincts : le droit d’auteur et le copyright.

Il est important de ne pas confondre en effet trois notions distinctes :

Droit d'auteur : Par droit d’auteur, on vise le système juridique français, dit aussi droit d’auteur " continental " car repris par la plupart des pays du continent européen à l’exception des insulaires britanniques. C’est le système que nous avons décrit jusque là.

Copyright au sens de la convention de Genève : Le mot Copyright, dérivé du droit anglo-saxon, vise dans les pays signataires de la convention universelle du droit d’auteur (Convention de Genève) la mention apposée sur tout document émanant d’un des pays signataires et signifiant que ce document est protégé dans le pays d’origine comme dans tous les pays signataires. Cette mention est très connue ; il s’agit du signe ã suivi du nom du titulaire des droits et de la date de publication. (bref historique)

Copyright (sens juridique originel) : Le Copyright est le système anglo-saxon de protection d’une œuvre. Par opposition au système français ou continental, le copyright protège avant tout celui qui a investi pour la diffusion de l’œuvre. L’auteur est rémunéré mais il ne peut s’opposer à l’exploitation de son œuvre (alors qu’en droit français, il peut rester pauvre et inconnu).

Ce sont donc deux philosophies qui s’opposent entre le droit à la française (héritage de la révolution) et le droit d’auteur à l’anglaise (plus ancien dans ses fondements). L’un protège l’auteur presque contre lui-même, l’autre de façon très pragmatique, sans négliger l’auteur protège surtout l’investisseur, c’est-à-dire le plus souvent l’éditeur. 

VII) Du droit de reproduction à la reprographie

Le principe d’accord de l’auteur et ses exceptions fonctionnaient depuis un certain temps (1957, au moins) lorsqu’une nouvelle loi est venue remettre en cause les grands principes du droit d’auteur à la française, introduisant une exception préoccupante quant au respect même des principes de privilège de l’auteur. La loi du 3 janvier 1995, relative au droit de reproduction par reprographie, prévoit en effet la cession automatique par la volonté de la loi du droit de reproduction de l’auteur à une société de gestion collective, à raison des opérations de reproduction par reprographie, dans tous les cas où l’œuvre de ce dernier a été publiée.

La loi et son décret d’application ont introduit un système d’agrément ministériel des sociétés de gestion collectives destinées à gérer ces droits.

Par ce système, le privilège d’autorisation de l’auteur est sérieusement entamé, puisqu’il suffit que l’œuvre ait été publiée pour que ce dernier perde du même coup le droit d’autoriser les copies par reprographie, y compris de les autoriser à titre gratuit. Le système mis en place prévoit uniformément paiement d’une redevance à la société de gestion collective, dont il faut bien, au passage, assurer le fonctionnement matériel. 

VIII) Et la représentation…

Terminons cet exposé des règles juridiques en évoquant le droit de représentation. La représentation s’entend d’une communication directe de l’œuvre au public. Ce sont tous les arts du spectacle qui sont principalement visés. Mais on trouve également des applications dans nos pratiques professionnelles.

Tout d’abord, dans la droite ligne du droit classique de représentation, le fait de réaliser une exposition, c’est-à-dire de présenter des textes, des photos, des images, etc. constitue déjà une représentation de ces objets. En conséquence, il faut songer, lors de l’organisation d’une exposition , à gérer les droits de représentation des objets exposés.

Ensuite, on peut se poser la question de savoir si le droit de prêt ou de location qui menace les bibliothèques depuis certaine directive sur le sujet ne reposerait pas sur la notion de représentation de l’œuvre (lorsqu’on prête un livre, on en permet la représentation sous les yeux du lecteur ; c’est plus flagrant pour les médiathèques et les artothèques). D’aucuns rattachent ce droit à celui de représentation, d’autres le considèrent comme un nouveau droit d’exploitation de l’auteur.

Les cas les plus importants concernent la consultation des documents électroniques, quels qu’en soient le canal, le support et les moyens d’accès. Ainsi, lorsqu’on consulte une banque de données sur l’écran d’un terminal , il y a représentation de celle-ci. Et celle-ci n’est juridiquement possible que si je suis dans le cercle de famille ou si j’ai reçu l’autorisation de l’auteur de la banque de données. Si je décide de tirer sur imprimante cette consultation, je mets en œuvre le droit de reproduction de l’œuvre ainsi consultée. Si je décide de télédécharger le résultat de la consultation sur le disque dur de mon ordinateur ou sur disquette, il s’agit à nouveau d’une reproduction. En pratique, tous les contrats entre serveur de banques de données professionnelles et utilisateur prévoient la cession du droit de représentation et de reproduction.

La question se complique lorsqu’on envisage les consultations de services hors abonnements, donc hors contrat liant directement le fournisseur de service à l’utilisateur. Mais ceci appellerait d'autres développements. 

IX) Le droit de prêt

 Nous plaçons volontairement le droit de prêt ici. Il dépend bien évidemment du droit d’auteur. Mais il dépend aussi semble-t-il, ou en tous cas est très proche, du droit de représentation, comme nous l’avons souligné ci-dessus.
Cette question est moins touffue, juridiquement parlant, que la question du droit de reproduction et de copie.

1) La pratique de certains pays

Dans certains pays tels que la Grande-Bretagne, le droit de prêt public est pratiqué depuis des années. Ces pays sont en général des pays à sens civique… pays nord européens pour la plupart. C’est vraisemblablement ces pratique déjà existantes qui ont attiré l’attention des juristes européens et surtout de certains groupes de pression économiques vers la solution consistant à faire payer des droits d’auteur sur le prêt (car c’est de cela qu’il s’agit).

2) Une directive européenne

En 1992, une directive européenne fut publiée sur cette question. Celle-ci prévoyait à terme la mise en place d’une législation dans tous les pays membres instituant le droit de location et de prêt. La France ignora le texte qu’elle ne transposa pas, invoquant à un moment du débat, le principe de subsidiarité : nous disposons en France d’une législation qui répond déjà à la question. Sous un certain angle, on verra que ce n’est pas tout à fait faux.

3) Un débat économique

À plusieurs reprises les éditeurs – les grands bénéficiaires du droit de prêt s’il était mis en place – se sont mobilisés pour presser le gouvernement de légiférer sur cette questions. Sans succès pour le moment.
Les professionnels des bibliothèques se sont eux aussi mobilisés pour défendre activement leur point de vue (cf. les positions de l’ABF, notamment sur leur site Internet, évoqué ici par ailleurs). Si le droit de prêt devait être institué, cela aurait des conséquences graves. Soit on ferait payer directement les lecteurs, et c’est le principe de l’accès à la connaissance pour tous qui est malmené avec des risques d’exclusion et la menace d’une société culturelle à deux vitesses. Soit les collectivités publiques prennent en charge le paiement de ce droit, et ce sont les éditeurs et les auteurs qui en subiront les conséquences puisqu’à crédit égal, on ne pourra pas acheter autant d’ouvrages.
Subsidiairement, les bibliothécaires font valoir qu’ils sont les défenseurs des auteurs puisque lorsqu’un ouvrage n’est plus disponible en librairie (parce plus rentable de le rééditer), c’est au sein des bibliothèques que ces œuvres continuent leur vie active. Les bibliothèques participent donc de la perpétuation de la réputation et du rayonnement des auteurs.

4) Le rapport Borzeix

Au plein cœur du débat, le ministre de la culture, saisi de la question, demanda à Jean-Marie Borzeix de lui rendre un rapport sur le droit de prêt en bibliothèques. Ce rapport a fait date. M. Borzeix y énonce quelques vérités économiques et y présente quelques propositions dont on n’a pas toujours vu l’aspect dérangeant, même s’il conclut à la mise en place d’un système de droit de prêt (il ne faut pas oublier l’obligation européenne qui pèse sur la France).
Au plan des réalités économiques, il est dit notamment clairement : « Tous ces éléments convergent pour exclure l’idée que le droit de prêt puisse apporter une solution providentielle et globale à la crise que traverse le livre. » (rapport p.44 : Le rapport évoque à plusieurs reprises la crise de l’industrie du livre, avec toujours la même position : on ne sauve pas un secteur économique en difficulté à coups de taxes… voir notamment page 61 le commentaire sur la répartition des sommes perçues.).
A supposer que ce système de perception fût mis en place, Le rapport préconise une répartition des sommes reversées entre les éditeurs et les auteurs assez originale : 70% pour l’auteur et 30% pour l’éditeur. On est loin des quelques 10% reversés à l’auteur par son éditeur – dans le meilleur des cas – et cela réaffirme un principe déjà proclamé par les professionnels (l’ADBS et Légitime Copie pour le débat sur le droit de copie) : les éditeurs n’existeraient pas s’il n’y avait les auteurs. Les auteurs étant au centre du phénomène de l’édition, pourquoi leur verser des droits aussi minimes ? Aujourd’hui, un auteur – réserve faite des « meilleurs ventes » (appelées en franglais best sellers) - ne vit pas de ses écrits.
Pour le calcul des droits à verser, le rapport suggère que celui-ci se fasse non sur le nombre de prêts des livres mais sur le nombre de livres achetés annuellement (rapport p.59).
Toujours au titre des suggestions du rapport, la perception des droits se ferait forfaitairement auprès des lecteurs au moment du renouvellement de la carte d’abonnement à la bibliothèque (rapport p.57). La somme serait volontairement modeste (10 à 20 F). Il est aussi suggéré des possibilités d’exonération de certains publics (mineurs et scolaires jusqu’au secondaire, rapport p.58).

5) La récente campagne

Les éditeurs, désespérant de voir le ministère ne pas bouger, ont récemment relancé une campagne médiatique, au début de 2000. Un collectifs d’auteurs est monté au créneau par la voie de pages de publicité dans des grands quotidiens, réclamant le paiement de leurs droits de prêt, considérant qu’ils sont lésés par les bibliothèques…
L’ABF, par la voie de sa présidente, a fait connaître sa position par une lettre ouverte aux auteurs. D’autres contacts ont sans doute eu lieu. Toujours est-il que certains des signataires des pages de publicité se sont rétractés.
Une grande loi sur les bibliothèques est, paraît-il, en préparation dans les services du ministère de la culture. Elle consacrerait aussi, notamment le pluralisme des collections et d’autres aspects de la lecture publique. Il se pourrait qu’elle intègre aussi des dispositions sur le droit de prêt. Affaire à suivre, donc.
 

D. Frochot - octobre 1998 / juin 2000


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