DROIT DE REPRODUCTION
ET DOCUMENT ELECTRONIQUE
Introduction - Parties 1 et 2
Introduction
La question du droit de reproduction appliquée
aux documents électroniques est une question piège, et même
une fausse question, dans un certain sens.
Fausse question : elle traduit en tous cas la préoccupation
des techniciens qui voient apparaître ou contribuent à faire
apparaître des supports nouveaux d'obtenir le régime juridique
exactement adapté à leur problème. Ainsi naît-il
dans l'inconscient des non juristes un mythe du droit-des-technologies-de-l'information
qui serait propre à ce domaine, étanche et par conséquent
imperméable aux solutions dégagées dans d'autres domaines.
Le droit souffre en effet de cette image de catalogue de solutions, alors
qu'il est au contraire un système intellectuel bâti sur des
règles et des grands principes. L'abstraction de tels principes
les rend parfois directement applicables à des situations nouvelles.
Ainsi certains textes datant de l'origine du Code Civil (1804) sont-ils
toujours pleinement valables. Ils n'ont pas pris une ride. Le degré
d'abstraction de la règle qu'ils énoncent est telle que celle-ci
s'applique aux situations quelles qu'elles soient, en dépit de l'évolution
de la société et des moeurs.
Sans remonter à l'aube du siècle précédent,
le droit d'auteur fournit au juriste qui se penche sur le document électronique,
des clés d'analyse précieuses, même si, pour ne pas
caricaturer, il faut avouer que des solutions nouvelles seraient
à mettre à jour - et sont dans certains cas en cours de gestation1.
Mais dans bien des cas, les solutions juridiques sont connues. Il suffit
au juriste de procéder à la bonne analyse, à la lumière
des principes du droit d'auteur.
Là où la question recèle un piège, c'est
que par document électronique, on vise nécessairement un
ensemble flou et encore en mutation - et ce, pour quelques longues années
encore -, ensemble qui brille par son hétérogénéité.
Un passage sur le terrain des réalités techniques s'impose
pour se rendre compte de la diversité que cache ce terme générique
de document électronique. Sans vouloir dresser une hypothétique
typologie des documents dits électroniques, il nous faudra à
tout le moins distinguer là ou le droit peut avoir à distinguer.
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I) LIMITES DE LA NOTION DE "DÉMATÉRIALISATION"
On a pu lire sous la plume de juristes ou autres spécialistes qu'on
assistait à une "dématérialisation". Dématérialisation
des données ou des documents, selon les cas, tout comme dans le
domaine financier on a pu parler de dématérialisation des
titres boursiers, le jour où les actions des sociétés
ont perdu leur support papier pour devenir un simple jeu d'écriture
comptable.
Y a-t-il dématérialisation des données ? des documents
? Si les deux questions méritent d'être posées, c'est
parce que le juriste peut y trouver des effets de droit lourds de conséquences.
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1) Dématérialisation
des données ?
S'agissant des données, il semble qu'il n'y ait pas dématérialisation
mais simplement changement de support. Là où des données
pouvaient - et peuvent toujours - être fixées sur un support
papier, stockable, archivable, celles-ci sont aujourd'hui de plus en plus
souvent fixées sur support magnétique ou optique, tout aussi
stockable et archivable. La différence réside dans le risque
de péremption du support, dans sa volatilité. Et on sait
combien le support magnétique peut être fragile et même
sujet à contestation en tant que preuve du fait de sa facile réinscriptibilité.
En réalité, les données gardent une matérialité,
mais celle-ci est différente. Se poseront alors les questions d'application
des textes juridiques sur la preuve, l'archivage, etc. qui nécessiteront
tôt ou tard une adaptation.
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2) Dématérialisation
des documents ?
En revanche, on peut parler de dématérialisation des documents.
Surtout si l'on considère les documents dans leur aspect intellectuel.
Mais il convient de bien voir où se situe la distinction, l'innovation
en fait, par rapport aux autres cas déjà connus.
Un même texte peut se trouver sur plusieurs supports, sur papier
et sur microfiche, par exemple, et bien sûr sur disquette ou sur
banque de données. La question n'est donc pas nouvelle. On a toujours
pu avoir un même texte - document au sens intellectuel - sur divers
supports, ne serait-ce que deux éditions successives du même
ouvrage. On comprend dès lors que la dématérialisation
ne se situe pas à ce niveau. Par contre, lorsque je peux interroger
une banque de données en texte intégral, télédécharger
un ou plusieurs textes et les stocker sur mon ordinateur, pour après
les remettre en page à partir de mon traitement de texte et les
imprimer sur mon imprimante laser, je peux parler de dématérialisation
: un même document aura connu une circulation et plusieurs mutations
de supports en quelques minutes. Le document devient une entité
virtuelle, ou plus exactement les attributs matériels du document
se sont trouvés démembrés. Cette notion de démembrement
semble plus efficace juridiquement que celle de dématérialisation.
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II) RAPPEL DES PRINCIPES DU DROIT D'AUTEUR2
Il convient dans un premier temps de rappeler rapidement les principes
qui régissent le droit d'auteur, spécialement en droit français.
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1) Protection d'une création
de forme originale
Le droit d'auteur protège toute création de forme originale.
Par originale, il faut entendre toute création qui soit l'expression
de la personnalité de son auteur. Cette expression de la personnalité
est admise dans un sens très large : il suffit que l'esprit humain
soit intervenu. Peu importe la qualité et le degré de cette
intervention.
Dès lors que le critère d'originalité est satisfait,
toute mise en forme est protégée par le droit d'auteur. C'est
donc la forme qui est objet du droit de l'auteur. La forme, toute la forme,
mais rien que la forme. En effet, a contrario, si la forme est protégée,
l'idée qui a présidée à l'élaboration
de la forme, elle, ne saurait être protégée. Les idées
sont dites, en droit français, "de libre cours", ce qui veut dire
qu'elles ne sont pas susceptibles d'appropriation ; elles appartiennent
à tout le monde et circulent librement. Le droit d'auteur va donc
protéger une forme : un texte, une oeuvre d'art plastique, une composition
musicale...
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2) Indifférence des genre,
forme, destination et mérite de l'oeuvre
Dans un souci de neutralité, le droit français se refuse
à entrer dans des distinctions de nature et de qualité des
oeuvres. Il accueille sous son aile protectrice toute création,
quelle qu'elle soit, n'instaurant aucune différence de régime
selon le genre de l'oeuvre (littéraire, musical, arts plastiques),
sa forme d'expression (écrite, orale, chantée, sculptée...),
sa destination (on protège autant un Picasso qu'un modèle
de panier à salade), ni surtout son mérite, artistique, esthétique
ou autre. La loi se veut donc neutre par rapport à la création
de l'auteur.
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3) Protection en dehors de tout
formalisme
Un signe distinctif du droit français est la protection de l'oeuvre,
et donc de son auteur, en dehors de toute formalité. Autant les
dispositifs de propriété industrielle (brevets, marques...)
exigent-ils un dépôt préalable, fondateur de la protection
spécifique, autant le droit de propriété littéraire
et artistique accorde-t-il une protection à l'oeuvre dès
l'instant de sa création. Il s'agit là d'une illustration
du caractère fortement intellectuel du droit français. Le
droit naît donc concomitamment à l'oeuvre. Une autre question
sera bien sûr celle de la preuve de la qualité d'auteur, et
c'est à ce titre que bien souvent une trace faisant foi (dépôt
légal, courrier recommandé...) tirera l'auteur d'embarras
pour prouver sa paternité.
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4) Naissance des droits moraux
et patrimoniaux
Dès l'instant de sa création, donc, la loi reconnaît
à l'auteur des droits sur son oeuvre. Une première série
de droit naît en effet immédiatement et vont suivre l'oeuvre
- et non l'auteur - sa vie durant : les droits moraux. Ainsi ces droits
sont-ils perpétuels, contrairement aux droits patrimoniaux qui naissent
un peu plus tard. Au titre des droits moraux, figurent le droit au respect
de l'oeuvre - ne pas la dénaturer en cas d'exploitation -, et le
droit au respect de l'auteur - obligation de mentionner l'auteur dans le
même cas. C'est également l'auteur qui seul jouit du droit
de divulgation : le droit de communiquer son oeuvre au public, de la mettre
en circulation.
C'est à partir de cette divulgation que vont naître la
série des droits patrimoniaux, c'est-à-dire les droits attachés
au patrimoine de l'auteur, des droits d'exploitation lui permettant, le
cas échéant, de vivre des revenus de ses oeuvres. On distingue
ainsi les droits de représentation, de reproduction ainsi que le
droit de suite que nous laisserons de côté. Ces droits ont
une durée de vie limitée à la vie de l'auteur ajoutée
d'un délai qui permet aux héritiers de continuer l'exploitation
et d'assurer aide et réconfort à la veuve (ou le veuf !)
éploré(e) et aux orphelins inconsolables... Cette durée
est actuellement, en droit français, de 50 ans pour toutes les oeuvres
et de 70 ans pour les oeuvres musicales3.
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5) Reproduction : le principe
d'accord de l'auteur et les exceptions
Sur la base de ces droits patrimoniaux, l'auteur bénéficie
d'un privilège d'exploitation de son oeuvre. C'est en effet lui
qui détient le pouvoir d'autoriser on non la reproduction ou la
représentation de son oeuvre, moyennant rémunération
ou non. La loi pose en effet un principe très net : pas de reproduction
ou de représentation sans consentement de son auteur ou de ses héritiers4.
À ce principe très large, la loi a apporté quelques
exceptions, et la Cour de Cassation en a complété la liste
il y a peu.
Les exceptions légales tiennent à deux types d'utilisation
de l'oeuvre : l'usage privé et l'usage public.
Au premier type correspond le célèbre "usage privé
du copiste" qui autorise une copie intégrale de l'oeuvre, pour les
besoins personnels et strictement individuels du copiste. Ainsi un usage
collectif, au sein d'une entreprise par exemple, n'est-il pas privé.
La clarté du juriste s'est brouillée à partir du moment
ou la Cour de Cassation à déplacé la notion de copiste.
On pouvait croire naïvement que le copiste était celui qui
copiait. Pour des raisons économiques, la Cour suprême a décidé
que devait être considéré comme copiste celui qui,
détenant le photocopieur, l'avait alimenté en encre, en papier
et en électricité et en avait retiré un bénéfice
analogue à celui d'un éditeur5.
C'est bien sûr le cas des boutiques de photocopies et de la concurrence
parasitaire qu'elles font aux éditeurs qui était visé
dans cette affaire.
Au titre de l'usage public, les utilisateurs peuvent sans autorisation
de l'auteur de l'oeuvre première pratiquer de courtes citations
et des analyses desdites oeuvres à condition qu'elles s'incorporent
dans une oeuvre de leur cru. Ils peuvent aussi pratiquer les revues de
presse. Ils peuvent enfin reproduire librement l'intégralité
des discours publics pour les besoins de l'actualité et pendant
le temps que dure l'actualité.
La question des revues de presse a fait couler beaucoup d'encre et
a poussé une profession à se mobiliser, celle des documentalistes.
En effet les revues de presse telles que vise la loi - la jurisprudence
l'a rappelé - n'ont que peu de choses à voir avec la pratique
documentaire. Celles tolérées par la loi supposent une comparaison
d'articles sur un même thème ou événement alors
que les revues de presse documentaires sont le plus souvent un panorama
de l'actualité présentée sans redondance entre les
extraits de presse, donc sans comparaison. De sorte qu'elles sont illégales6.
Les courtes citations et les analyses retiendront notre attention plus
loin, de même que les solutions dégagées par l'affaire
Microfor.
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6) Champ d'application du droit
d'auteur : les oeuvres exclues
Certaines oeuvres sont exclues du champ d'application de celle-ci et donc
non protégées par le droit d'auteur.
Ainsi, ne sont pas protégés, du moins en droit français,
les actes dits "officiels". Cela concerne tout ce qui est du domaine de
la loi et des règlements. Tout ce qui parait au Journal Officiel,
édition "lois et décrets" n'est pas protégé
par le droit d'auteur - encore que la question puisse se poser pour les
circulaires. En effet, en France "nul n'est censé ignorer la loi",
on a donc pris le parti de ne pas protéger l'information juridique
officielle. Cela n'apparaît nulle part dans des textes sur
le droit d'auteur. Mais ces actes ne sont pas visés dans l'énumération
indicative des oeuvres protégées par la loi. C'est une solution
traditionnelle, doctrinale et jurisprudentielle constante.
Si "nul n'est censé ignorer la loi", nul n'est censé
ignorer ce que le juge dit au nom de la loi. D'où la deuxième
catégorie d'oeuvres qui ne sont pas protégées par
le droit d'auteur : les décisions de justice. Le terme générique
de "décision de justice" recouvre les termes de "jugement" pour
les tribunaux, et "arrêt" pour les cours. Sont aussi exclues de la
protection du droit d'auteur les décisions de justice stricto sensu,
c'est-à-dire uniquement les décisions rédigées
par les magistrats. Les plaidoiries des avocats, les conclusions du Commissaire
du gouvernement - dans le cas du Conseil d'État -, les conclusions
des avocats, les réquisitions, etc., restent du domaine du droit
d'auteur. Mais la décision de justice en elle-même n'est pas
protégée.
D'autres oeuvres sont également exclues du champ d'application
de cette loi mais pour des raisons beaucoup plus simples. On considère
en effet que ce ne sont pas des oeuvres originales : il s'agit des informations
de presse. Les informations de presse sont les gros titres qui n'ont aucune
originalité. Le fait d'annoncer : "Mitterrand à Moscou" dans
la presse lorsqu'il s'y rend n'a rien d'original. Mais tout ce qui est
du domaine du rédactionnel est, bien entendu, couvert par le droit
d'auteur.
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du texte
Mise en page Web : octobre 1999