LA REVUE DE PRESSE – ÉTAT DE LA QUESTION

Deuxième partie

Que faire ?

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II. QUE FAIRE ?

La question n’est pas, bien évidemment d’effectuer de belles analyses juridiques dans l’abstrait. Il convient de savoir comment agir. Ce qu'attend tout professionnel de cet exposé, c’est de s’enrichir de pistes concrètes. Comment agir ?
Nous proposons ci-après un certain nombre d’hypothèses de travail, depuis la solution en apparence la plus simple : faire le mort, jusqu’à une action sérieuse.

A. FAIRE LE MORT ?

1. Solution la plus mortelle

Sans vouloir jouer sur les mots, cette solution serait la plus mortelle pour le professionnel déjà considérablement isolé face à ses inquiétudes juridiques. Mais précisément, si inquiétudes juridiques il y a, il convient de ne pas les garder pour soi. Par faire le mort, nous visons l’attitude d’absolu repli sur soi, sur le modèle mythique de l’autruche.Retour

2. Responsabilité professionnelle vis-à-vis de l’employeur

D’une part, ne pas alerter sa hiérarchie serait de nature à engager la responsabilité du professionnel de l’information. En cas de conflit, les dirigeants seront trop heureux de trouver la victime expiatoire qui, pour leur avoir caché si longtemps qu’ils laissaient faire des illégalités dans l’entreprise, les ont mis dans une situation à tout le moins inconfortable.

3. Nécessité de se couvrir hiérarchiquement

On comprendra donc que nous recommandions comme première mesure de salubrité juridique, d’informer sa hiérarchie des risques encourus. Et l’en informer par écrit en laissant des traces. Nous laissons à chacun l’appréciation du degré d’officialité de la démarche. Il est des cultures d’entreprise très orales, au sein desquelles tout écrit est vécu comme une défiance. A chacun de juger, et de peser entre le risque encouru et le risque d’indisposer son chef…

B. SE MOBILISER COLLECTIVEMENT

Ensuite, il convient de se mobiliser collectivement et de suivre l’actualité des évolutions des mouvements d’opinions et de revendications, de suivre de près le débat relatif au droit de copie.

1. Ne pas rester isolé

L’isolement d’une seule entreprise peut se révéler, non plus mortel, mais très préjudiciable pour l’entreprise elle-même.
Le lobby des éditeurs est organisé…
Le lobby des éditeurs, conduit par le SNE (Syndicat national de l'édition)  et le CFC (Centre français d'exploitation du droit de copie) est organisé, même si on sait que de fortes dissensions opposent certains groupes contre les autres. L’action de ce groupe de pression est malgré tout redoutable .
Une petite structure seule ne peut tenir tête économiquement
Une entreprise isolée ne peut tenir tête à cette force de pression économique et psychologique qui s'avance parée des vertus de la légalité. Il convient donc de se faire aider mais aussi de globaliser les négociations, sur la base du bon vieux principe selon lequel l’union fait la force . 

2. Se faire conseiller

Au titre de l’aide possible, sans vouloir plaider pour notre chapelle, nous avons cependant quelques conseils de bon sens à fournir.

Se faire conseiller par un spécialiste s’il n’y en a pas en interne

La plupart des entreprises de taille moyenne – a fortiori les petites – ne possèdent pas d’équipe juridique suffisamment étoffée pour se permettre d’avoir un juriste spécialisé en propriété intellectuelle. Seules les très grandes entreprises ont ce privilège et il convient de signaler que dans ce cas, ces juristes ont tout de suite compris les failles du système mis en place au sujet du droit de copie et ses illégalités.
C’est donc à un conseil spécialisé dans ces matières qu’il faut faire appel. Encore convient-il de s’assurer par ailleurs des intérêts défendus par ledit conseil. Certains professionnels très respectables défendent régulièrement les intérêts des éditeurs. On peut donc raisonnablement estimer qu’ils ne seront pas trop enclins à défendre avec conviction des thèses qui ne leur sont pas habitués à défendre…

«Mouiller» les juristes de l’entreprise

A contrario, nous avons suggéré que les juristes d’entreprise ne pouvaient pas forcément avoir pris la dimension des problèmes. Nous avons même vus des entreprises prestigieuses signer des accords les yeux fermés avec le CFC en matière de droit de reproduction par reprographie, sur les conseils de leur juriste maison, au seul motif que la loi existe et qu’il faut la respecter…
En revanche, il paraît nécessaire de tenir le juriste interne à l’entreprise informé de ce qui se fait afin qu’il ne soit pas dépossédé de la question et puisse ultérieurement la suivre.

Les sensibiliser au droit d’auteur

Dans le même esprit, il est parfois souhaitable de lui fournir les éléments de droit et les arguments pour qu’il se fasse une idée de la question, au besoin provoquer une rencontre rapide entre le conseil extérieur et le juriste maison.

On l’aura compris, il s’agit par ces diverses mesures, qui peuvent paraître du détail, d’organiser l’entreprise en un front commun. 

3. Se grouper

L’autre volet de l’organisation d’une défense (ou d’une initiative) est le rapprochement avec d’autres entreprises ou directement avec des structures qui ont pour objectif la défense des intérêts communs des professionnels de l’Information-Documentation, ou de la défense de tous les diffuseurs d’œuvres d’auteurs (ce qui englobe d’autres services de l’entreprise, les services de communication, notamment).

Faire appel aux structures de groupe dont on dépend

Dans un premier temps, si l’entreprise appartient à un réseau ou à un groupement, celui-ci est probablement le mieux à même d’assurer la défense du groupe. Ainsi en a-t-il été des Chambres de commerce et d’industrie qui se sont groupées dans leur structure commune, l’ACFCI . Ainsi en est-il des conseil généraux et régionaux.

Se rapprocher de Légitime Copie

A défaut d’une structure qui permet de se présenter groupés dans une éventuelle négociation, l’association Légitime Copie a été créée spécialement pour grouper tous ceux qui se sentent seuls face au lobby des éditeurs. Elle a été créée en marge de l’ADBS pour deux raisons. D’une part l’ADBS est une association qui groupe majoritairement des personnes. Or il fallait que les membres de l’association qui représente leurs intérêts fussent directement les entreprises auxquelles appartiennent éventuellement les documentalistes adhérents de l’ADBS. D’autre part, le phénomène de diffusion de copies ne concerne pas que nos professions. Nous citions plus haut, les directions de la communication. Mais il peut exister bien autres cas de figure. Créer une association ad hoc permettait donc de grouper les entreprises qui pouvaient alors mandater celle-ci pour toutes leurs activités et pas seulement pour le service de documentation. Retour

C. QUE FAIRE EN CAS DE MENACE (DU CFC OU AUTRE) ?

Le CFC est coutumier de manœuvres de pression sur l’élégance desquelles nous ne ferons aucun commentaire. Il faut simplement le savoir afin de ne pas céder à ces pressions psychologiques.

1. Ne rien signer sous la pression et dans l’urgence

Quels que soient les intérêts en jeu et les risques supposés ou réels de procès, il ne faut jamais perdre de vue qu’un bon accord se négocie dans la sérénité. Il faut aussi savoir que la même sérénité préside aux destinées de principe de la justice en France. Ce qui veut dire que si une menace de procès est réelle, la lenteur de la justice est mère de la sérénité, ce qui laisse du temps pour confronter les arguments en présence et, au besoin transiger avant l’issue du procès comme on l’a vu faire, par exemple, dans l’affaire lancée par le CFC contre l’AFB (Association française des banques). En résumé, il n’y a jamais urgence au point de se précipiter sans recul, réflexion ni conseil sur le premier contrat venu.

Exemples de manœuvres d’intimidation diverses

La premier litige que nous ayons eu à connaître illustre parfaitement la précipitation avec laquelle les instances du CFC voudraient procéder, ce qui, après tout, est de bonne guerre… Dans cette microscopique affaire nouée fin 86, une modeste société savante, association loi de 1901 avait eu la malencontreuse idée de créer un centre de documentation à l’attention de ses membres et de leur proposer de leur fournir des photocopies d’articles médicaux ainsi collectés. Pour diverses raisons, le CFC tomba sur cette petite structure par le biais d’une lettre de menace au dos de laquelle figurait, en quelques articles succincts, le contrat à signer et renvoyer par retour du courrier !
Une autre technique consiste de la part du CFC à semer le doute dans l’esprit des partenaires d’un réseau documentaire. On téléphone au centre de Rouen et on laisse entendre que le centre de Lille est partant pour signer, puis on téléphone à Lille et on laisse entendre que Rouen est favorable à la signature d’un accord, et ainsi de suite.

Exemples de manœuvres d’intoxication

De la même manière, pour arriver à leurs fins, les instances du CFC n’hésitent pas à pratiquer ce qu’on pourrait appeler l’effet d’annonce, où l’effet est sans cause.
Cela va de la communication inexacte sur la jurisprudence Rannou-Graphie jusqu’à l’annonce d’investiture non obtenue. Ainsi le Président du CFC annoncera-t-il dès la publication du décret sur la procédure d’agrément de la loi de 1995, qu’ils sont agréables… Ils le seront tellement qu’ils devront attendre plus de 18 mois et revoir leurs statuts pour obtenir ledit agrément. Ainsi a-t-on entendu dire pendant un bon moment qu’ils étaient sur le point d’être mandatés par les éditeurs pour les droits numériques. Or rien n’est plus faux et même, les éditeurs de presse préfèrent de beaucoup s’organiser entre eux sans transiter par cette estimable société . 

2. Temporiser

On l’aura compris, rien ne presse. Après tout la situation de droits flous dure depuis 1957. Il est de beaucoup préférable pour la bonne tenue d’un contrat que tout le monde soit persuadé de s’y retrouver. Un contrat obtenu sous la pression laisse un goût de violence intellectuelle dans l’esprit de celui qui a été contraint. Mieux vaut négocier un vrai accord, au sens premier de ce terme : manifestation réciproque de volonté.

Ne pas refuser le dialogue

C’est dans cet esprit que nous conseillons de ne pas refuser le dialogue. Les prétentions de chacun, dans la mesure où elles sont justifiées juridiquement et économiquement, sont admissibles pour peu qu’elles ne nuisent pas aux intérêts des cocontractants. Dans cette idée, en cas d’approche, même agressive du CFC, il convient de proposer l’ouverture de pourparlers.

Renvoyer vers une négociation de groupe

Toutes les fois où cela est possible et comme nous l’avons vu, la négociation pourra et devra se situer au plus haut niveau d’un groupement national.
Pour les entreprises qui seraient isolées, n’appartenant à aucun syndicat professionnel ou groupement souhaitant se charger de ce rôle, le recours à Légitime Copie est une solution juridique utile. C’est la raison d’être de base de cette association. Nous pouvons témoigner du fait que, informés par certains de nos adhérents du fait qu’ils avaient demandé au CFC de se rapprocher de Légitime Copie, notre association n’a jamais été contactée par le CFC pour ces adhérents et les adhérents eux-mêmes n’ont jamais plus été inquiétés par le CFC…

Se mobiliser collectivement (cf. ce point)

Comme on l’a vu, la mobilisation collective peut être puissante. Il est évident que dès qu’on présente des arguments irréfutables à nos contradicteurs, ceux-ci n’ont rien de fondé à répondre. Aussi pratiquent-ils le contournement : plus un « partenaire » est faible et démuni plus on a de chance de l’intimider, mais dès qu’il montre qu’il ne se laissera pas faire, rien que par son appartenance à un groupe organisé tel que Légitime Copie, alors on préfère s’attaquer à quelqu’un d’autre.

D. QUE FAIRE EN CAS DE LITIGE ?

Nous avons évoqué jusque là les simples contacts, plus ou moins pressants du CFC. Évoquons à présent les risques de litige et leurs solutions.

Les points de départ possibles

Il faut connaître les divers moyens juridiques et judiciaires à la disposition de nos contradicteurs. D’une part, le CFC est une société agrée « réglementée par le titre II du livre III » du code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire un organisme habilité, notamment à avoir des agents assermentés. D’autre part, la procédure de saisie-contrefaçon existe. Il faut connaître ces deux armes :
- Constat d’agent assermenté (art. L.331-2)
- Saisie-contrefaçon (art. L.332-1ss) 

E. NÉGOCIER…

La dernière réponse que nous donnerons à la question « Que faire ? » sera bien sûr : négocier. Le but n’est pas de rester indéfiniment dans un situation floue. Il s’agit donc d’arriver à un accord, mais à tant faire, au meilleur accord possible. Encore faut-il savoir que négocier, sur quelle base, auprès de qui, etc. Ce sera tout l’objet de la partie qui suit.
   
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© Didier Frochot 2001