LA REVUE DE PRESSE
– ÉTAT DE LA QUESTION
Troisième partie
Éléments pour une négociation
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III.
ÉLÉMENTS POUR UNE NÉGOCIATION
Les éléments qui
suivent ont pour but d’éclairer tout juriste (et non juriste) sur
la faisabilité juridique d’un accord sur les revues de presse. Certains
aspects de technique juridique n’ont jamais été ainsi évoqués
et rapprochés de la situation des revues de presse. On trouvera
donc dans les lignes qui suivent tous les éléments concrets
pour négocier.
A.
AUPRÈS DE QUI ?
La question sous-jacente est
celle des titulaires de droits d’auteur. Dans un premier cas, particulièrement
exorbitant du droit d’auteur français, la réponse sera pratique
et simple puisqu’il n’y a aujourd’hui qu’un seul interlocuteur possible
contrairement à la volonté de la loi. Dans tous les autres
cas, la réponse est simple mais pratiquement ingérable…
1.
Droits d’exploitation papier
Réaliser une revue de
presse sous forme papier revient à négocier un droit de reproduction
sur support papier. Cette situation est aujourd’hui régie, outre
l’ensemble du droit d’auteur classique français, par une réglementation
particulière : la loi du 3 janvier 1995 sur la reproduction par
reprographie. Au terme de cette loi lorsque l’œuvre a été
publiée, l’auteur est censé avoir cédé son
droit de reproduction par reprographie à une société
de gestion collective agréée par le ministre chargé
de la culture (Article L.122-10 CPI).
Le CFC serait seul compétent
La seule société
agréée au terme de cette réglementation est aujourd’hui
le CFC, agréé depuis le 23 juillet 1996. Le CFC serait donc
seul compétent pour négocier des accords. C’est dans ce cadre
que l’affaire ayant opposé le CFC à l’AFB, citée plus
haut, a éclaté puisque les opposants n’avaient pas réussi
à se mettre d’accord, les exigences du CFC étant excessives.
Plusieurs observations sont
à faire face à cette situation.
L’existence d’un seul partenaire
pour tout négocier représente une simplification du type
« guichet unique ». On a vu que la réalisation d’une
revue de presse nécessitait très souvent la négociation
des droits. Toutes les fois où cela est nécessaire, un seul
interlocuteur est à contacter une fois pour toutes puisque l’accord
peut ensuite être renouvelé par tacite reconduction (sous
réserve des réévaluations de tarifs). Tout irait donc
pour le mieux dans le meilleur des mondes et on se demande pourquoi nous
aurions pris les uns et les autres des champs de bataille jusque dans les
enceintes judiciaires (aux côtés de l’AFB). En fait la question
qui se pose est l’exorbitante exigence du CFC sur le plan de tarifs. La
solution AFB a déjà sérieusement entamé le
système promu par le CFC, mais celui-ci ne se déclare pas
battu si vite.
Contournement possible
?
Quelques juristes à l’esprit
chagrin – au rang desquels nous sommes… – ont cherché dans les textes
des contournement possibles. Il semble aujourd’hui difficile d’exploiter
a coup sûr des failles dans le dispositif législatif mis en
place.
Mieux vaut donc ne pas rêver.
Il n’est donc plus possible, en principe, de négocier directement
avec les éditeurs de presse. C’est dommage car beaucoup d’éditeurs
de presse accueillent souvent très favorablement et gratuitement
des demandes de citations dans des revues de presse. Tout se passe donc
comme si le CFC protégeait les intérêts des éditeurs
malgré eux !
2.
Droits d’exploitation numérique
Au titre de la cession de droit
de reproduction (et de représentation en l’occurrence, comme on
le précisera plus loin) sur support numérique, contrairement
à ce qu’ils ont longtemps cherché à laisser croire,
le CFC n’est en aucun cas agréé ni en passe de l’être
pour négocier. En effet, la loi prévoyant un agrément
ne vise que la reproduction par reprographie, à l’exclusion de tout
autre support. Si donc le CFC avait quelque rôle à jouer dans
cette affaire, ce serait uniquement par voie de mandatement privé
d’un éditeur particulier qui lui aurait confié ainsi ses
intérêts numériques . Mais tout porte à croire
qu’en matière de presse, les éditeurs n’ont aucune intention
de confier leurs intérêts numériques au CFC, pour de
nombreuses raisons.
Qui donc détient
les droits d’auteur et donc auprès de qui faut-il dans ce cas négocier
?
En principe l’auteur
Au terme de l’article L.111-1
alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle, c’est
bien sûr dans tous les cas l’auteur personne physique qui reste titulaire
de ses droits. La seule exception en matière de texte est précisément
la loi de 1995 sur la reprographie. On se retrouve donc ici dans l’hypothèse
de principe : c’est l’auteur personne physique qui détient ses droits,
même s’il est en contrat de travail. La jurisprudence du Figaro est
là pour nous le rappeler de manière très nette.
L’éditeur est
en principe cessionnaire limité
Dans cette décision ,
il est rappelé que les journalistes n’ont cédé à
l’éditeur de presse, au terme de leur contrat, que les seuls droits
de reproduction dans l’exemplaire papier du journal du jour. Ainsi la publication
du même article sur le site Internet du journal est-elle hors du
champ contractuelle et nécessiterait un accord spécifique.
Cette décision ne fait qu’appliquer des principes bien connus et
les appliquer sans surprise.
Dans ces conditions, un
éditeur de presse ne peut céder des droits qu’il n’a pas.
Il ne peut donc logiquement passer un accord avec un diffuseur de revue
de presse pour l’utilisation qui sera faite des articles au-delà
de l’exemplaire papier.
Difficulté matérielle
de négocier avec chaque auteur
Il est bien évident que
s’il faut courir après chaque journaliste et chaque pigiste de chaque
périodique pour lui faire signer un accord, c’est totalement impraticable.
En outre, on va se trouver dans la situation où, au cas par cas,
il y aura à vérifier qui détient les droits.
En effet rien n’empêche
des journalistes d’avoir expressément cédés d’autres
droits d’exploitation à leur employeur. Bien que cela soit sans
doute très rare (pas de cas à notre connaissance) il se peut
que le CFC soit mandaté par un éditeur de presse pour gérer
ses droits numériques. On a vu que la tendance n’allait pas dans
ce sens mais les statuts du CFC le prévoient expressément.
En matière de support
numérique, on va donc avoir une situation à géométrie
variable, ce qui complique un peu plus le schéma de négociation…
Pour en sortir, il faut trouver un juste milieu.
3.
Mécanisme envisageable
Si nous faisons abstraction
du cas fort théorique où le CFC pourrait être mandaté,
on peut envisager un mécanisme qui suppose que chaque partenaire
fasse une partie du chemin. Il s’agit de négocier avec les éditeurs
de presse qui eux auront négocier avec leurs auteurs.
Négociation globale
avec chaque éditeur
Le contrat serait ainsi passé
avec chaque éditeur de presse. Celui-ci cède les droits qu’il
tient lui-même de ses auteurs. Ce qui suppose que celui-ci a négocié
avec ceux-là. Mais cela, c’est son affaire. Le risque existe que
l’éditeur cède des droits qu’il n’a pas. Mais on peut parer
à cela.
Le cocontractant garantit
les droits qu’il cède
Il faut et il suffit insérer
dans l’accord une clause par laquelle l’éditeur garantit qu’il détient
les droits qu’il y cède. S’il s’est ainsi fourvoyé, de bonne
ou de mauvaise foi, la question ne se pose pas pour son cocontractant.
En cas de litige, il lui suffira d’appeler l’éditeur en garantie,
lequel devra assurer sa défense. C’est, au passage, la clause qui
est présente dans presque tous les contrats d’édition : l’auteur
garantit que les textes qu’il fournit sont bien les siens ou qu’il en possède
bien les droits.
B.
À QUELLES CONDITIONS ?
La question posée ici
est celle des circonstances concrètes dans lesquelles l’accord aura
lieu. Faut-il un écrit ou un simple coup de fil peut-il suffire
? S’agit-il d’un accord unilatéral ou d’un vrai contrat engageant
deux parties ? Et surtout quelles clauses insérer ? Autant d’interrogations
sur lesquelles il convient de se pencher…
1.
Un écrit probatoire est nécessaire
Art L.131-2 al. 2 CPI
Curieusement l’art. L.131-2
du code n’exige de contrat écrit que pour quelques actes désignés
(édition, représentation). Pour le reste il renvoie au code
civil, c’est-à-dire à la règle qui n’exige un écrit
à titre de preuve qu’à partir d’un enjeu économique
dépassant 5000 F. En deçà de ce seuil on aurait recours
à la preuve du contrat par tout moyen, donc par simple témoignage
oral, indice, présomptions…. Nous n’entrerons pas plus avant dans
cette question, oiseuse, on va le voir.
Art L.131-3 al. 1er
CPI
En effet l’article suivant du
code précise que l’acte (et non forcément le contrat) de
cession doit impérativement comporter certaines « mentions
»… Comment faire apparaître clairement ces mentions si l’acte
est purement oral. On le voit, un écrit est bien nécessaire
au moins pour des raisons pratiques, même s’il peut ne pas s’agir
d’un contrat en bonne et due forme, mais d’un acte unilatéral de
cession de droit pour de petits enjeux (inférieurs à 5000
F).
Soulignons au passage que
cet article est sans aucun doute un des plus importants du code en ce qui
concerne la pratique du droit d’auteur. Il contient toutes les garanties
pour l’auteur et on peut y recourir fréquemment. De cet article,
on retiendra pour le moment que toute cession de droit doit être
expressément spécifiée quant à son étendue
dans le temps et l’espace, et quant aux supports utilisés. Toute
cession qui ne serait pas conforme à cet article encourrait la nullité.
Et toute cession qui ne porterait aucune mention serait ipso facto limitée
dans ses effets au strict minimum cédé (un journaliste cède
ainsi uniquement son droit de reproduction à son employeur et uniquement
pour la publication du support papier du jour – cf. affaire du Figaro).
2.
Qualification du contrat
La question suivante sera la
qualification du contrat. Celle-ci ne fait aucun doute mais il importe
de s’arrêter un instant sur la technique juridique.
Contrat de licence
Tout accord par lequel un titulaire
de droits intellectuels quels qu’ils soient cède tout ou partie
de ces droits se nomme licence. Ainsi lorsqu’on achète un logiciel,
n’achète-t-on rien d’autre qu’une autorisation d’utiliser ledit
logiciel dans un certain cadre. C’est donc une licence d’usage et non un
contrat de vente comme on le croit souvent. Le contrat au terme duquel
un auteur cède une partie de son droit d’exploitation (droit patrimonial
si l’on préfère) est donc un contrat de licence.
Contrat innommé
Nous rappellerons qu’il s’agit
d’un contrat innommé. Cela signifie pour tout juriste que ce contrat
n’est pas décrit ni aménagé au code civil, ni dans
d’autres textes. Il s’ensuit que c’est un contrat qui n’obéit à
aucune règle par défaut, ni aucune règle obligatoire,
sauf les quelques nullités introduites par le code de la propriété
intellectuelle, nous y reviendrons ponctuellement.
Certaines mentions sont
requises par le CPI
Quant au contenu de l’accord,
nous avons vu ci-dessus rapidement – et nous revoyons plus bas en détail
(art. L.131-3) – q ue doivent figurer les périmètre, la durée
d’usage et le ou les supports envisagés.
Les parties sont libres
d’inclure les obligations qu’elles veulent (art. 1101 et 1134 C. civ.)
Mais en revanche les parties
sont libres d’inclure les clauses qu’elles veulent en vertu de la liberté
contractuelle, dans la limite des textes d’ordre public. Nous verrons quelle
application faire de cette liberté plus loin. Rappelons ici simplement
que le contrat est un véritable instrument de gestion. Il permet
de modeler des situations juridiques par ailleurs souvent inextricables.
3.
Les mentions requises (art. L.131-3 al. 1er)
Cet article fondamental énumère
avec soin les mentions nécessaires à la validité de
l’acte. Tout d’abord, chaque droit cédé doit être mentionné.
Ce qui en clair signifie par exemple que si le droit de reproduction est
cédé, le droit de représentation ne l’est pas. Ensuite
le domaine d’exploitation doit être délimité. On peut
donc indiquer le plus en détail possible l’usage envisagé,
ou au contraire embrasser un ensemble de situations. Le texte impose de
préciser l’étendue de l’exploitation – quels droits sont
cédés, et nous ajouterions volontiers sur quels supports
–, la destination – en vue d’une revue de presse, en vue de la reproduction
sur un site Internet… – le lieu – pour un site Internet, par exemple, la
cession vaut pour le monde entier, compte tenu de la nature du réseau
– et enfin la durée. Il est généralement admis que
si la durée toujours doit être spécifiée, elle
correspondre à la durée de protection du droit d’exploitation,
soit 70 ans après la mort de l’auteur.
4.
Les mentions recommandées
Garantie de cession
des droits des auteurs
Nous l’avons évoqué
plus haut, cette clause permet de se couvrir efficacement des cas où
un éditeur cèderait des droits qu’il ne détient pas
lui-même. Le cocontractant garantissant les droits qu’il cède,
en cas de litige, il suffit de l’appeler en garantie.
Une clause de justification
du paiement des auteurs ?
Au nom de la liberté
contractuelle évoquée plus haut, on peut imaginer une clause
au terme de laquelle l’éditeur de presse, non seulement garantit
les droits qu’il cède, mais s’engage à fournir chaque année
à son cocontractant les justificatifs de reversements des sommes
perçues aux auteurs. On peut même faire de la non application
de cette clause une cause de suspension du paiement des redevances…
5.
La rémunération des auteurs
Le principe de rémunération
proportionnelle (art. L.131-4 al. 1er)
Le droit d’auteur pose le principe
de la rémunération à proportion des recettes. Cette
règle était envisagée essentiellement dans le cadre
des contrats d’édition, mais elle est posée comme un principe
général, en dehors du chapitre sur le contrat d’édition.
Dans de nombreux cas, ce principe devrait s’appliquer car on n’est pas
dans les quelques cas d’exception visés.
Les exceptions de rémunération
forfaitaire (art. L.131-4 al. 2)
Les cas d’exception sont très
limités. Il faut globalement que, pour une raison ou pour une autre,
on ne puisse déterminer de quantum à partir duquel on puisse
calculer une rémunération proportionnelle. Nous renvoyons
à l’article lui-même, mais les cas tournent autour de l’idée
selon laquelle soit le chiffrage est matériellement impossible,
soit qu’il serait plus coûteux que les sommes à verser à
l’auteur.
CONCLUSION
Pour la première fois
semble-t-il, nous avons voulu examiner de bout en bout la question des
revues de presse : définir ce qu’on peut ranger dans la catégorie
« revue de presse » visée par la loi, réaliser
l’analyse juridique de diverses « vraies » revues de presse
de notre profession, et surtout donner des pises de solutions. Nous avons
toujours été frappé par ces conférences dans
lesquelles de dignes avocats viennent nous expliquer que nous sommes dans
l’illégalité, sans pour autant nous aider à nous sortir
de cette impasse. À tout problème sa solution. C’est d’ailleurs
sur ce point que nous voudrions conclure. Nous avons montré qu’il
existe des solutions juridiques, notamment contractuelles. Celles-ci sont
lourdes et, à terme, pourraient se révéler coûteuses.
Cette épineuse difficulté des revues de presse pourraient
cependant être transformée en un défi. Puisque les
revues de presse posent problème, n’est-ce pas en effet l’occasion
de les remettre en cause ? De pratiquer un peu de ré-ingénierie
des services documentaires rendus aux utilisateurs. N’est-ce pas l’occasion
rêvée de reconsidérer l’efficacité d’un tel
produit ? Vue sous cet angle, la question juridique des revues de presse
pourrait donc bien se révéler être une formidable occasion
de créer du neuf, d’abandonner un produit qui ne répond pas
forcément aux attentes réelles des utilisateurs et de se
rendre mieux utile auprès d’eux en innovant. Une piste à
méditer…
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©
Didier Frochot 2001