LA REPROGRAPHIE EN ACCUSATION
Journée d'étude de l'INTD
- Organisée le 10 décembre 1992
Paru dans Documentaliste Science de l’Information
vol. 30 n°2, mars-avril 1993
Mise en page Web : octobre1999
N.B. La petite flèche
permet de revenir à la consultation de la page dont vous venez.
Le point sur le droit de reproduction en documentation
Depuis certain procès intenté par des éditeurs
contre le CNRS (1),
le monde professionnel savait plus ou moins nettement que la diffusion
de photocopies n'allait pas sans soulever des questions juridiques. A défaut
de formation à la gestion juridique des questions documentaires,
les responsables de centres de documentation et de bibliothèques
ont bien souvent esquivé la difficulté en l'ignorant purement
et simplement ou en s'en référant à des croyances
quasi superstitieuses... N'a-t-on pas entendu partout que la diffusion
à des fins pédagogiques de photocopies d'articles était
autorisée ? Ou encore qu'on a le droit de diffuser des copies d'articles
de périodiques à condition de ne pas les faire payer...?
Toutes assertions qui hélas, sont parfaitement inexactes.
C'est pourquoi l'INTD a souhaité faire le point sur cette délicate
question. Délicate parce que les professionnels, redisons-le, manquent
d'une sérieuse formation leur permettant de connaître réellement
leurs droits. Délicate encore parce que les éditeurs, las
d'être pillés consciencieusement par les réservoirs
bibliographiques grands et petits ont décidé de réagir
et cherchent à faire pencher la loi à leur avantage. Face
à une profession organisée en groupe de pression, il devenait
urgent pour les responsables de centres de documentation et autres diffuseurs
de photocopies de connaître l'état de la question.
Le présent article se propose de rendre compte succinctement
de cette journée (2)
et de livrer les réflexions qu'elle m'a inspirées, notamment
la rencontre avec M. Join-Lambert, Président du Centre Français
d'exploitation du droit de Copie (CFC) et les positions qu'il a défendues.
UNE JOURNÉE DE CASSE-TÊTE JURIDIQUE...
Une courte introduction d'accueil de Bruno Delmas, directeur de
l'INTD, plantait le décor, resituant le sujet du jour dans l'évolution
du droit au cours des âges, montrant l'adaptation du droit à
l'activité humaine, débouchant sur le droit de l'information
s'adaptant peu à peu à notre société d'information.
Puis la matinée était animée par Didier Frochot.
Elle se divisait en deux temps forts de taille inégale : Points
de repère juridiques ; Le droit de reproduction en documentation.
I) Points de repère juridiques
La première partie de la matinée était donc consacrée
à situer la question du droit de reproduction et à brosser
un rapide tableau des questions juridiques pouvant se poser à un
responsable de centre de documentation. Elle était bâtie autour
de trois axes :
I. Transfert de l'information :
Toutes les fois où il y a transfert d'information, il y a des incidences
juridiques à prendre en compte. Celles-ci peuvent tenir à
l'existence d'une protection de la forme dans laquelle est "enchâssée"
l'information véhiculée (le texte rédigé par
exemple). C'est le cas du droit d'auteur et spécialement du droit
de reproduction évoqué plus loin. Mais c'est aussi le cas
de ce qu'on groupe sous le nom de propriété industrielle
: droit des brevets, des marques, des dessins et modèles, des créations
de la mode, des extractions végétales... Celles-ci peuvent
encore procéder de la réglementation de l'accès à
l'information elle-même. C'est ainsi le cas pour les trois grandes
lois d'accès à l'information des années 1978 et 79
: Accès aux archives (3),
Accès aux documents administratifs (4),
Informatique, fichiers et libertés (5).
C'est aussi le cas de la protection du savoir-faire, non plus par une réglementation
publique mais par des dispositions internes aux entreprises d'ordre juridique
ou matériel (mise sous clé des secrets de fabrique), ainsi
que de la protection des informations confidentielles (règles pénales
et réglements d'entreprise)
II. Gestion de projet :
Des questions se posent dans le cadre d'un projet lorsque notamment on
a recours à des prestataires de service. Un contrat est alors passé,
même en dehors de toute signature d'un écrit (6).
Mais un contrat écrit permet de fixer les règles de fonctionnement
de la relation de travail. Il est fortement recommandé de ne pas
négliger cet aspect du projet. Un contrat bien conçu permet
de régler bien des difficultés qui peuvent survenir telles
que des retards de livraison de l'application commandée, etc (7).
III. Gestion du risque professionnel :
Enfin il ne faut pas oublier que toute action humaine peut causer préjudice
à une ou plusieurs autres et que dans ce cas la loi prévoit
une réparation du préjudice subi, le plus souvent sous forme
de dommages-intérêts. L'activité documentaire ou d'information
peut très bien être de celles qui causent préjudice,
dans le cas de fourniture d'information erronée par exemple. Elle
peut donc avoir des conséquences pour le centre d'information ou
de documentation, voire pour ses salariés (8).
II) Le droit de reproduction en documentation.
Après cette entrée en matière, on abordait le sujet
principal de la journée. Le droit de reproduction participe du droit
d'auteur, encore appelé propriété littéraire
et artistique.
Le cadre législatif et réglementaire
:
La matière, longtemps régie par les lois du 11 mars 1957
et du 3 juillet 1985, se trouve depuis la loi du 1er juillet 1992 réglementée
par les articles du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
La loi du 1er juillet vient en effet de créer la partie législative
de ce code. Elle abroge les deux précédentes lois et réintègre
en fait leurs dispositions dans un développement codifié
(9).
Notion de droit d'auteur :
Au regard de la loi française, le droit d'auteur appartient à
tout créateur d'une oeuvre dite de l'esprit, dès la création
de celle-ci, sans qu'il soit besoin de procéder à un dépôt
ou à une formalité quelconque. C'est la création de
forme, la mise en forme, qui est protégée. Ce qui signifie
a contrario qu'une simple idée ne peut recevoir de protection par
le biais de la propriété intellectuelle. Les idées
en droit français sont dites "de libre cours" ; elles n'appartiennent
à personne. Mais leur expression, littéraire, plastique ou
musicale, elle, sera protégée sans qu'il soit tenu compte
du mérite artistique, de la destination, du genre et de la forme
d'expression de l'oeuvre.
Dès la création de l'oeuvre, naît au profit de l'auteur
un premier aspect de son droit : le droit moral essentiellement constitué
du droit au respect de l'auteur, au respect de l'oeuvre et le très
important droit de divulgation avec son corollaire : le droit de repentir.
D'épineuses questions peuvent se poser aux responsables de centres
de documentation à ce sujet. Par exemple, un document non publié
est-il "divulgué"? Sinon quelles en sont les conséquences
?
C'est à partir de cette divulgation de l'oeuvre (sa communication
volontaire au public par l'auteur) que le second aspect du droit d'auteur
naît : le droit patrimonial (prérogative de l'auteur de tirer
un avantage financier de son oeuvre et d'en vivre). A ce droit s'attachent
trois attributs qui sont le droit de reproduction, le droit de représentation
et le droit de suite. Ces deux derniers droits n'appelaient pas de commentaires
essentiels et l'investigation se concentrait sur le droit de reproduction.
Le droit de reproduction :
La loi pose un principe concernant ce droit : pas de reproduction d'une
oeuvre sans le consentement de son auteur (10).
A ce principe d'interdiction, sont apportées quelques exceptions
limitativement énumérées par les textes et à
interpréter dans un sens strict (11).
On peut classer ces exceptions en deux groupes : celles tenant à
l'usage privé, et celles tenant à un usage public. Avant
de restreindre à nouveau l'étude sur l'usage privé
du copiste, il convenait de rappeler les exceptions participant à
un usage public des oeuvres d'auteur.
Lorsque l'oeuvre a été divulguée,
l'auteur ne peut interdire :
- les analyses et courtes citations à condition qu'elles s'incorporent
à une autre oeuvre.
- les revues de presse
- les discours d'actualité, pendant le court délai que
représente l'actualité (11).
L'apparente neutralité des termes pourrait laisser croire que
certains travaux documentaires ont été prévu par le
législateur. Il n'en est rien hélas et les termes utilisés
par la loi sont en fait de "faux amis"... Ainsi en est-il des "analyses"
qu'il ne faut pas confondre avec nos chers résumés documentaires.
L'analyse suppose un jugement de valeur et vise par là même
la critique littéraire ou d'art plutôt que le travail neutre
et objectif d'un documentaliste qui semble de ce fait entaché d'illégalité.
Ainsi en est-il aussi des revues de presse qui, pour être licites,
supposent la redondance, puisqu'elles doivent constituer la présentation
comparative, autour d'un même événement ou d'un même
thème, d'articles d'auteurs différents. La pratique documentaire
de panoramas de presse (12)
apparait donc comme illégale.
Fort heureusement, des plaideurs opiniâtres ont eu le courage
de mener pendant près de dix ans un combat juridique acharné,
pour la seule beauté du droit. Il s'agit du journal Le Monde, opposé
dans la désormais célèbre affaire à la société
Microfor. On leur doit une panoplie de solutions juridiques mise au point
par la Cour de Cassation pour le travail documentaire qu'on peut résumer
comme suit.
Dans le travail de dépouillement documentaire
:
- La reproduction des titres des oeuvres est libre de toute autorisation
de leurs auteurs, le titre ayant une valeur purement signalétique
dans ce cas.
- L'indexation, consistant en un choix de mots-clés destinés
à identifier les idées contenues dans le texte est aussi
libre que les idées elles-mêmes.
- Les résumés, eux, ne sont autorisés que dans
la mesure où ils sont purement informatifs et ne dispensent pas
le lecteur de recourir à la lecture de l'oeuvre première
(13).
L'aspect d'usage public étant ainsi évoqué, on
pouvait en venir à l'usage privé.
Les reproductions intégrales ou l'usage privé
du copiste :
La loi prévoit, en des termes qui ont pu paraître précis
en leur temps, que lorsque l'oeuvre a été divulguée,
l'auteur ne peut interdire "les copies ou reproductions strictement réservées
à l'usage privé du copiste et non destinées à
une utilisation collective (11)." En fait,
presque tous les termes essentiels de ce texte recèlent un problème
de droit le plus souvent illustré par une "affaire". C'est le cas
de l'affaire Masson contre CNRS dejà citée, dans laquelle
on a reproché au CNRS de ne pas vérifier notamment l'utilisation
non collective des copies qui étaient faites à la bibliothèque
du CDST. C'est, plus curieusement au regard des termes de la loi, l'affaire
Rannougraphie en 1984 qui définit le copiste, non plus comme celui
qui fait matériellement la copie, mais celui qui détenant
le photocpieur, a alimenté celui-ci en encre, en papier et en électricité...
ce qui bien sûr va à l'encontre de tout ce qu'on avait pu
penser jusque là. Cette jurisprudence est un pur arrêt d'espèce
de la Cour de Cassation sans portée générale et qu'il
convient même de nuancer à la suite d'une lecture attentive
de ses attendus. Enfin une thèse émanant du milieu des éditeurs
tendrait à restreindre la notion d'usage privé à la
seule utilisation en tant que simple citoyen, mais non à titre professionnel.
Le CFC :
La dernière évolution de la question des copies privées
est la création du Centre Français du Copyright (CFC) en
1985 devenu aujourd'hui le Centre Français d'exploitation du droit
de Copie.
Cet organisme de droit privé est à l'origine l'émanation
du Syndicat National de l'Edition (SNE) et de la Fédération
Nationale de la Presse d'information Spécialisée (FNPS) et
est né en 1985. Son président, Patrick Join-Lambert, est
venu présenter les activités et le rôle du CFC au début
de l'aprés-midi de cette journée. Le Centre Français
d'exploitation du droit de Copie a pour vocation d'autoriser par voie de
licence contractuelle toutes les copies qui ne le sont pas aux termes de
la loi, moyennant versement d'un droit de reproduction. Ainsi le centre
qui passerait une telle convention avec le CFC se verrait-il mis à
l'abri de toute poursuite de la part des éditeurs. Le CFC représente,
par voie directe ses adhérents, éditeurs, mais aussi depuis
peu sociétés d'auteurs, et par voie indirecte les éditeurs
étrangers par voie d'accord, le plus souvent de réciprocité,
avec des organismes similaires dans une quinzaine de pays. Chaque éditeur
dispose cependant de la faculté de refuser d'autoriser tout ou partie
des publications qu'il représente qui sont alors inscrites sur des
listes dites d'exclusion. Dans ce cas la reproduction de celles-ci demeure
totalement illégale et interdite.
Le co-signataire s'engage à fournir soit en continu, soit ponctuellement
à titre de sondage, un relevé précis des photocopies
diffusées par ses soins, avec mention des titres et des éditeurs
copiés, parfois aussi des auteurs. Ces relevés permettent
de déterminer l'assiette sur laquelle seront calculés les
droits de reproduction à verser au CFC qui lui-même en assurera
la répartition entre les éditeurs, voire les auteurs.
Une négociation-type, simulée entre Patrick Join-Lambert
et Didier Frochot, puis une table ronde entre les mêmes et Brigitte
Rozet, directeur de la Bibliothèque du CNAM, puis enfin un débat
avec la salle tentait de mettre en lumière certains aspects de ce
type de convention. Ainsi ont pu être précisés les
points concernant la représentativité du CFC, la relative
insécurité des listes d'exclusion, l'inégalité
du système contractuel (c'est le premier qui signe une convention
qui commence à payer des droits, les centres de documentation se
refusant à signer ou ne se faisant pas connaître continuant
à diffuser des copies au mépris du droit d'auteur), la relative
impossibilité pour le CFC de contrôler le nombre de photocopies
d'oeuvres protégées déclarées pour le calcul
des droits, la limite discutable de l'effet d'un contrat de ce type (A
partir de quand y a-t-il copie non "privée" ? Il est des cas simples
comme celui d'une diffusion de copies en masse pour les élèves
d'une école, mais qu'en est-il d'une diffusion de copies uniques
à la demande, voire de copies faites en libre service, en dehors
du cas d'un "copy shop" pour lequel la solution Rannou-Graphie s'applique
?). La question s'est aussi posée de savoir si on devait encore
parler de droit "d'auteur" et pas plutôt de droit d'éditeur,
surtout lorsqu'on sait que la plupart des auteurs de revues scientifiques
- qui constituent l'essentiel des oeuvres "piratées" - ne sont pas
rémunérés et même dans certains cas paient pour
être publiés... Sur toutes ces questions des désaccords
subsistent bien sûr entre les éditeurs représentés
par Patrick Join-Lambert et notre métier, représenté
en la circonstance par Didier Frochot mais épaulé par un
auditoire apparamment peu convaincu par les réponses jugées
trop souvent floues du président du CFC.
QUELQUES RÉFLEXIONS EN GUISE D'ÉPILOGUE
SUR LA JOURNÉE :
Il me parait utile de revenir sur quelques points du débat, qui,
dans le feu de l'action, n'ont pu être traités avec toute
la sérénité qui s'impose.
1) Droit d'auteur ou droit d'éditeur ?
Lorsque j'ai évoqué publiquement la question, mon contradicteur
m'a bien sûr opposé un démenti, affirmant haut et fort
qu'on restait dans le pur droit d'auteur. J'ai alors réservé
la question, pressentant quelque flou dans le raisonnement tenu. En effet,
quel est le fondement juridique de l'action des éditeurs membres
du CFC ? Le contrat d'édition qui les lient à leurs auteurs.
Par ce contrat, l'auteur cède un droit de reproduction limité
à la seule édition projetée. On peut par conséquent
se demander sur quel fondement juridique l'éditeur percevrait pour
le compte de l'auteur un droit de reproduction que celui-ci ne lui a pas
cédé... Ou bien il faudrait prévoir dans les contrats
d'édition une clause prévoyant que l'auteur cède également
son droit de reproduction pour l'exploitation de droits "dérivés"
tels que la diffusion par photocopie. Est-ce déjà le cas
dans les contrats en cours ? Est-ce prévu dans les contrats signés
depuis que le CFC existe ? Il est sûr que dans tous les cas où
aucun contrat écrit n'est signé, dans les cas où il
n'y a donc pas vraiment édition (14),
on ne peut affirmer que l'auteur - surtout s'il est bénévole
- a cédé ce genre de droits dérivés à
l'éditeur. La question était cruciale tant que les seuls
éditeurs constituaient le tour de table du CFC. Depuis quelques
temps (environ 18 mois) des sociétés d'auteur ont commencé
à rallier le CFC qui de ce fait représente aussi les auteurs
via leurs organismes collectifs, ce qui modifie en partie les données
du problème. On peut à présent se poser la question
de savoir pourquoi les auteurs ne gèrent pas directement ces questions
sans passer par les éditeurs, puisqu'il apparait assez nettement
que lorsqu'on copie l'oeuvre d'un auteur, un article de périodique
par exemple, c'est l'auteur qui est concerné au premier chef par
cette opération ; c'est, à la limite, lui qui est lésé
ou honnoré (ou les deux !) de cette nouvelle publication de son
oeuvre (15). Mais
encore une fois l'éditeur est pratiquement étranger à
cette nouvelle diffusion, sauf par la mise en page de l'article, la maquette,
dont il demeure l'auteur. On touche ainsi du doigt au cauchemar des éditeurs
: un monde où l'information circulerait directement de l'auteur
au consommateur... Les rapides progrès technologiques offrent aujourd'hui
la possibilité d'une telle circulation peu formalisée de
l'information et des oeuvres. Certes l'éditeur arguera qu'il est
le garant d'une qualité de ses publications, et que sans lui plus
aucun contrôle de la collectivité scientifique (pour rester
dans ce domaine de l'édition) n'est possible. Mais on voit bien
que ce rôle de régulateur, de contrôleur, peut lui être
disputé par d'autres formes institutionnelles. La littérature
grise d'ailleurs se porte bien. Le débat dépasse, bien sûr,
le seul droit d'auteur ou d'éditeur qui nous intéresse ici.
2) Intérêt de la licence contractuelle
:
Le CFC, suivant en cela la pratique d'autres pays (USA - Grande Bretagne),
procède selon la technique de la licence contractuelle, c'est à
dire qu'il sagit de contrats signés au coup par coup entre le CFC
et les lieux où sont diffusées des copies d'oeuvres protégées.
Il faut savoir qu'il existe d'autres systèmes de par le monde. Certains
pays pratiquent la licence obligatoire : un texte de loi fait obligation
aux parties en présence (représentants des éditeurs
et diffuseurs de photocopies) de passer une convention, mais les parties
sont libres de négocier comme elles l'entendent, un peu comme le
système des conventions collectives en droit du travail français.
D'autres pays ont adopté le système plus simple de la licence
légale : c'est un texte de loi qui fixe directement les différents
tarifs applicables aux diverses hypothèses de droit de reproduction.
Chacun doit s'y conformer. De tels systèmes, étant plus largement
répartis sont en général moins coûteux pour
chacun. Une étude des tarifs pratiqués dans les divers pays
montrent que les pays de licence contractuelle pratiquent les prix les
plus chers à la page (environ un franc français par page,
voire plus), tandis que les pays de licence obligatoire ou légale
pratiquent des tarifs variant entre 5 et 40 centimes par page.
J'ai toujours reproché (16)
l'injuste inégalité provoquée par le système
contractuel. Si celui-ci ne parait pas choquant dans un pays comme les
USA où tout est privé, y compris la protection sociale, il
en va différemment dans un pays où il est écrit un
peu partout : Liberté - Egalité - Fraternité, et où
prévalent des "principes généraux du droit" reconnus
et défendus par le Conseil d'Etat, tels ce "principe d'égalité
des citoyens devant les charges publiques" qui veut qu'à situation
égale on soit traité en termes égaux. On en arrive,
avec le système contractuel, à traiter différemment
une même situation (diffusion de photocopies d'oeuvres protégées),
puique les uns ont déjà signé une convention et paient
donc des redevances et que les autres continuent à diffuser gratuitement
et illégalement. Situation d'autant plus choquante que ce sont ceux
qui montrent la meilleure volonté qui sont les premiers pénalisés
et ceux qui renaclent qui continuent à échapper à
leurs obligations sans être inquiétés... (17)
A cet argument les éditeurs opposent pour défendre leur
système qu'il est plus précis pour le reversement aux auteurs
(statistiques plus précises dans le cadre des licences contractuelles)
et qu'il est le plus souple pour les partenaires puique chaque convention
s'adapte exactement à la situation considérée. Cependant,
conscient de la lourdeur de la tenue des statistiques, le CFC prévoit
parfois des allègements. Ainsi n'est-il pas toujours prévu
dans les conventions de fournir les noms des auteurs copiés, ce
qui se justifie souvent par le fait que dans bien des secteurs les auteurs
sont bénévoles. On retrouve - au passage - l'ambiguité
du droit dit "d'auteur"... Poussé dans ses retranchements sur ce
terrain de l'inégalité, le Président Join-Lambert
évoquait la possibilité d'établir des accords-cadre,
avec date de reprise d'antériorité, ce qui gommerait en partie
l'inégalité dénoncée ou alors de possibles
extensions des conventions à toute une branche d'activité.
On le voit, de tels assouplissement vident peu à peu de tout son
sens le système contractuel et poussent tout doucement les partenaires
vers une licence obligatoire qui n'ose pas encore dire son nom mais qu'on
pourrait appeler de nos voeux. Malheureusement, les perspectives communautaires
ne semblent pas prendre cette direction et tendraient à voir se
généraliser le système contractuel. Mais peut-être
que rien n'est encore joué à ce niveau ?
ET LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ?
Le CFC, dans ses statuts, prévoyaient d'englober dans son champ
d'acivité aussi bien les reproductions papier, objet de cette journée
que celles effectuées par les nouveaux outils de communication que
sont les banques de données, les CD-ROM, etc... C'est pour des raisons
purement pratiques que toute l'activité du CFC a été
presque entièrement absorbée jusque là par les photocopies,
au point de se laisser quelque peu distancer par ces autres questions,
de l'aveu même de Partrick Join-Lambert. Une prochaine journéee
d'étude de l'INTD pourrait être consacrée à
ce thème plus particulier. Des aspects de cette épineuse
question ont été évoqués lors du débat.
Leur complexité nous promet une riche journée (18).
Didier Frochot
Notes du texte ci-dessus
1- Affaire Masson/CNRS en 1974 Retour
2- Les actes de la journée seront prochainement
disponibles à l'INTD. Retour
3- Loi du 3 janvier 1979 Retour
4- Loi du 17 juillet 1978 Retour
5- Loi du 6 janvier 1978 Retour
6- Le droit français est un droit essentiellement
consensuel : il y a contrat dès l'accord des parties à la
relation de travail. Retour
7- Des cas de ce genre sont évoqués
dans l'article consacré aux "Aspects juridiques d'un service télématique"
Didier FROCHOT in Documentaliste Science de l’Information, vol. 26 n°1,
janvier-février 1989.– p. 33-35. Retour
8- Sur ce point, voir "La responsabilité
du fournisseur d'information" Didier Frochot in Documentaliste Science
de l’Information, vol. 22 n°2, mars-avril 1985.– p. 79-82. Retour
9- Loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 "relative
au code de la propriété intellectuelle (partie législative)"
- J.O du 3 juillet 1993, noté CPI dans les références
qui suivront. Retour
10- Art. L.122-4 CPI. Retour
11- Art. L.122-5 CPI. Retour
12- Terme consacré par le CFC. Retour
13- Cf "Les conséquences de l'affaire Microfor/Le
Monde" Didier Frochot in Documentaliste Sciences de l'Information
- Vol.25 n°2 mars-avril 1988. Retour
14- Art. L.122-5 2°) CPI- Le contrat
d'édition doit être obligatoirement constaté par écrit,
par dérogation au principe énoncé ci-dessus (art.
L.131-2 et suivants CPI). Retour
15- Rappelons-nous la pratique, presque disparue
aujourd'hui, et pour cause, des "tirés à part" d'articles
diffusés gracieusement par les auteurs. Retour
16- Ayant eu à négocier en tant
que conseil pour le compte d'un centre de documentation une convention
avec le CFC entre 1987 et 1988. Retour
17- ...sauf lorsqu'ils ont la joie de se voir
menacés d'un procès pour la diffusion de quelques dizaines
de photocopies par an comme ce fut le cas pour mon client. Retour
18- Rappelons aussi que l'INTD organise prochainement
un stage de formation continue Droit et pratique documentaire destiné
aux responsables de services et centres de documentation, à raison
de 2 jours par semaine sur 3 semaines et qui approfondit les questions
abordées au cours de cette journée. Retour