COMMENT POSITIONNER

VOTRE SERVICE DOCUMENTAIRE

DANS LA STRUCTURE GÉNÉRALE

DE L'ENTREPRISE

 

Texte repris et enrichi d'une communication effectuée le 13 décembre 1994 lors du colloque organisé par l'IIR (Institute for International Research) sur le thème :

Dynamisez la gestion de votre service documentaire

Mise en page Web : octobre 1999


N.B. le titre original de la conférence a été ici conservé, à la différence de la version publiée dans Documentaliste.
 

Lorsqu'il m'a été proposé d'intervenir sur le thème énoncé ci-dessus, il m'est apparu qu'il fallait commencer par définir de quoi on parlait avant d'aborder le fond de la question sur lequel il y a actuellement beaucoup à dire.  Avant de savoir comment positionner un service au sein de l'entreprise, il faut savoir ce que représente ce service, quelles missions il doit assurer et comment celles-ci le sont.

Après avoir défini ce qu'on entend par "service documentaire" (I), il semblait nécessaire de passer en revue les enjeux documentaires de l'entreprise (II), puis d'évoquer les stratégies d'ancrage des  "services documentaires" (aux divers sens du terme) de l'entreprise (III), pour enfin se pencher sur les évolutions professionnelles (IV).
 

I.   QU'ENTEND-ON PAR SERVICE "DOCUMENTAIRE" ?

Par service documentaire, on peut tout d'abord entendre le classique service ou centre de documentation. Mais en jouant sur les mots, on peut radicaliser le propos et pousser le raisonnement un peu plus loin.

   A. La vision classique : le service de documentation

La première acception de l'expression "service documentaire" désigne donc le service de documentation bien connu de nos lecteurs. On peut cerner les activités de celui-ci à partir de quelques caractéristiques avant d'examiner les qualités professionnelles requises et jeter un oeil sur la réalité.

 1. Caractéristiques d'un centre de documentation

Nous ne prétendons pas ici cerner la totalité des critères qui définissent  l'activité d'un centre de documentation. Nous nous attachons plutôt à mettre en lumière ceux qui vont le différencier des autres enjeux documentaires de l'entreprise.

  a. Traitement de la documentation externe

Tout d'abord le centre ou service traite exclusivement de la documentation externe. C'est du reste la mission qui lui est impartie : surveiller l'information extérieure à l'entreprise. A ce titre, il est la fenêtre intelligente de l'entreprise sur son environnement.

  b. Littérature publiée et littérature grise

Pour assurer sa mission, le service va porter ses regards sur deux types de sources principales : littérature publiée et littérature grise. Ce seront essentiellement sur ces documents que travailleront les documentalistes. Résiduellement, ils peuvent être amenés à traiter de l'information dite informelle, telles que des informations verbales, des avis d'experts, etc.

 2. Le professionnalisme requis

L'essence du métier réside dans les qualités professionnelles requises. On les groupera autour de trois pôles de poids égal à notre sens.

  a. Traitement intellectuel de l'information

Le métier de documentaliste requiert tout d'abord des capacités de traitement intellectuel de l'information recueillie. A ces capacités correspondent notamment des méthodes et techniques : synthèse, résumé, analyse, indexation, description bibliographique... pour le traitement proprement dit, équation de recherche, navigation hypertexte, etc. pour ce qui est du "retrouvage" de l'information. On pourrait d'ailleurs envisager d'ajouter à ces connaissances classiques de tout bon documentaliste d'autres techniques de pur traitement de l'information telles que les statistiques et autre analyse syntaxique.

  b. Compétences technologiques

A ces connaissances classiques, doivent impérativement s'ajouter des compétences technologiques. On ne peut plus aujourd'hui évoluer dans le milieu de l'information en ignorant les technologies qui s'y rapportent : l'informatique et ses dérivées. Ce serait faire preuve de myopie, et de surcroît se priver d'un outil fiable et puissant .

  c. Compétences de management

Pour gérer un service, des compétences intellectuelles et techniques ne suffisent pas. Il faut encore des connaissances de gestion. Et ces compétences sont de plus en plus exigées à mesure que la rigueur économique se fait sentir. Soyons schématique : monter aujourd'hui une banque de données pour le plaisir d'avoir un outil bien conçu et performant ne présente aucun intérêt si cette banque de données, réalisée à grands frais est interrogée par trois utilisateurs tous les six mois. En d'autres termes, l'art pour l'art n'a pas sa place en documentation. Pas plus, signalons-le pour être tout à fait clair, dans le secteur privé que dans le secteur public : la notion de rentabilité existe dans les deux secteurs avec des nuances. La notion de service public n'exclut en rien celle de coût, à ceci près qu'il est supporté par les contribuables.

Un bon responsable de service de documentation doit donc aujourd'hui être autant compétent dans son domaine propre (les deux séries de qualités qui précèdent) que sur les questions de budget, de gestion d'équipe, de développement de produits et/ou services.

Renversons la proposition et nous comprendrons peut-être mieux les raisons de certaines crises de la documentation. Un responsable de centre de documentation incapable d'avoir une vision managériale de sa mission condamne inévitablement son service à une mort prochaine. Il est évident que la première raison d'être d'un service de documentation est de répondre aux besoins des utilisateurs qu'il a vocation à servir. Pour ce faire, il est nécessaire de maîtriser les techniques du marketing, de savoir  remettre en cause ses produits et services, d'innover et donc de savoir gérer des projets. Il faut aussi savoir valoriser sa mission1.

Nous reviendrons sur ces diverses questions un peu plus loin.
 

  3. La France profonde des services de documentation

Face à ces exigences idéales pour le bon fonctionnement d'un service de documentation, qu'en est-il de la réalité telle qu'on peut la capter lorsqu'on a des contacts fréquents avec les professionnels tant en région parisienne qu'en régions2  ? Je grouperai les quelques constats autour de trois pôles qui sont le pendant presque exact des trois séries de qualités professionnelles évoquées ci-dessus.

  a. Environ 40% des professionnels non diplômés en documentation

Si le chiffre est difficile à vérifier et par conséquent discutable, le propos garde de son acuité : notre profession est très jeune. Beaucoup de professionnels se sont formés sur le tas, avec une infinie bonne volonté mais avec des moyens forcément plus limités qu'à l'issue d'une formation structurée, rigoureuse et contrôlée3. Partis d'une population professionnelle où les non diplômés étaient majoritaires, on assiste à une inversion des proportions : les employeurs embauchent de plus en plus en priorité des diplômés. Cela est à la fois une conséquence et un facteur de l'amélioration de l'image de la profession.

  b. Déficit de connaissances technologiques

Quand bien même les documentalistes en poste sont formés, ils n'ont pas forcément reçu la formation aux technologies de l'information indispensable pour qu'ils soient à l'aise en ces matières et ce, pour toutes sortes de raisons dans lesquelles nous n'entrons pas ici. On constate donc encore trop largement une cruelle absence de connaissances techniques. Soyons clairs à ce sujet : chacun son métier, il n'est pas question de demander aux documentalistes de devenir des informaticiens. Trop de confusion règne encore sur cette question, dans les deux professions d'ailleurs. La distinction fondamentale entre les deux métiers réside dans le fait que l'informaticien fait l'informatique alors que le documentaliste fait de l'informatiqueb4. Le documentaliste est donc un utilisateur parmi d'autres de l'informatique. L'informatique n'est qu'un outil. Mais pour être un bon utilisateur professionnel, il convient malgré tout de savoir comment cet outil fonctionne. En outre pour dialoguer utilement avec des professionnels de l'informatique, il est utile de s'être approprié en partie leur culture pour être sur un terrain connu. Sinon, on encourt le dialogue de sourds, sources de nombreux échecs de projets d'informatisation.

  c. Faible conscience des enjeux de gestion

"Mon centre de documentation n'est pas reconnu." "Mon directeur ignore tout de la valeur et de la complexité de mon travail."... Combien de fois n'avons-nous pas entendu ces phrases ou d'autres de la même eau ? Certes les instances dirigeantes des entreprises nous écrasent de leur indifférent mépris. Mais qu'avons-nous fait pour qu'il en soit autrement ? La découverte par notre métier du marketing est toute récente5. Malgré tout, on n'a peut-être pas été au bout de la logique d'une bonne approche managériale de nos missions et surtout de nos fonctions. S'il en avait été différemment, il est permis de penser que beaucoup de nos maux auraient pu être évités.

 B. Jouons sur les mots

Si précisément on tente une approche managériale et qu'on réfléchit en termes d'audit ou de conseil, on s'aperçoit qu'il suffit de jouer sur les mots pour voir s'ouvrir de vastes territoires sur lesquels nous avons peut-être vocation à régner.

 1. Notion de service : être au service de l'entreprise

Dans l'expression floue donnée par les organisateurs du colloque : "service documentaire", il y a service. Il s'agit donc bien d'être "au service" de l'entreprise dans laquelle le service est implanté. "Etre au service" peut s'entendre de diverses manières. Dans une première perspective, je puis affirmer sans hésiter que les documentalistes ont très largement fait preuve d'une abnégation remarquable pour se mettre au service de leurs utilisateurs. Ils ou elles ont souvent déployé des trésors d'ingéniosité pour trouver l'information attendue. Même si c'est parfois resté très artisanal, ce sens du dévouement doit être salué comme une des qualités réelles de la profession. Il est regrettable, redisons-le, que cette ingéniosité dans le savoir-faire n'ait pas été plus fréquemment relayée par un faire-savoir. Trop de discrétion a nui à notre métier, ou pour reprendre l'expression d'une de nos collègues : "le scoutisme, c'est fini !".
Cette ingéniosité tout artisanale est d'ailleurs une arme à double tranchant. On s'est en effet trop longtemps contenté de ce caractère artisanal, empirique, fondé sur l'intuition (féminine, comme chacun sait !). De ce fait, on s'est assez largement abstenu de réfléchir sur nos pratiques, d'en dégager les structures de fonctionnement, de formaliser, de modéliser les comportements et les méthodes de travail. Cela restait essentiellement pragmatique. Dès lors il était difficile de donner à ce métier des lettres de noblesse. Le concept de sciences de l'information tente de sauver la situation. Reste à savoir ce qu'il recouvre.

Dans une autre perspective, être au service de l'entreprise, c'est répondre à tous ses besoins documentaires. Et sur c'est sur ce point, que l'absence d'analyse managériale a nui.

 2. Vous avez dit documentaire ?

L'adjectif documentaire de l'expression de départ doit-il connaître une interprétation restrictive qui serait celle de documentation externe à l'entreprise ? Si l'on observe la pratique des documentalistes depuis les quelques décennies où ils existent, on est tenté de répondre oui. Pourtant, cet adjectif désigne tout ce qui a trait au document. Niera-t-on que les plans et dessins techniques d'un avion soient des documents, que le volumineux mode d'emploi remis avec un logiciel bureautique soit de la documentation, que les masses de chèques traitées quotidiennement par une banque, que la comptabilité d'une entreprise soit des documents ? Qu'est-ce donc alors ? Et pourquoi le métier de la documentation, le métier de documentaliste refuserait-il d'embrasser dans son champ d'activité les questions complexes de gestion de tous ces documents ?6  N'est-ce pas aussi un service documentaire à rendre à l'entreprise ? Ne faillissons-nous pas à notre mission si nous n'assurons pas aussi ce service ?

Certes, on nous répondra que les informaticiens, nos cousins germains, ont très bien su répondre à ces attentes de l'entreprise. Grave méprise... L'informaticien est purement et simplement un prestataire de service, un apporteur d'outil permettant de gérer efficacement l'information. C'est le mythe de l'informatique qui lui a permis dans certains cas de s'imposer comme apporteur de solutions intellectuelles, pas toujours très adaptées d'ailleurs, de traitement de l'information7.

Si l'on définit la documentation comme notre domaine d'intervention et notre mission comme un ensemble de services à rendre à l'entreprise, il devient évident que nous n'assurons que très partiellement le rôle que l'entreprise est en droit d'attendre de nous.

 3. Repenser la profession en termes de fonctions

On est toujours frappés de la difficulté d'expliquer à nos amis, extérieurs au métier, ce que nous faisons, ce qu'est le métier de documentaliste. Outre les questions d'image, voire d'imaginaire dans la conscience de nos interlocuteurs (la fameuse image de la documentaliste), la difficulté provient peut-être du fait que nous n'avons pas conceptualisé notre métier, notre pratique. Nous revenons là sur la faiblesse signalée plus haut d'absence de formalisation des méthodes de travail. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement... Si nous n'avons qu'une conscience instrumentale et non fonctionnelle de notre métier, on s'oblige à chaque fois qu'on veut se décrire, à développer le détail de nos tâches, à évoquer la sacro-sainte chaîne documentaire, comme si l'informaticien définissait son métier à partir du codage binaire. Nous sommes souvent démunis pour argumenter sur la défense et illustration de notre métier8.

Une des solutions pour mieux nous définir et nous positionner passe donc par une phase de ré-ingénierie professionnelle : repenser notre travail, le repenser en termes de fonctions et non en termes d'outils ou de méthodes. Les outils et les méthodes, mais aussi les services attendus découleront d'eux-mêmes de cette reconception.
Mais allons plus loin dans la démarche. Repenser en termes de fonctions ne peut se faire qu'à condition de repartir des besoins informationnels et documentaires de l'entreprise dans laquelle nous sommes appelés à "servir". On reconnaîtra peut-être au passage la démarche d'analyse de la valeur : repérage des besoins, traduction de ces besoins en termes de fonctions, recherche de solutions propres à assurer ces fonctions.

Aujourd'hui on peut globalement cerner les besoins documentaires de l'entreprise avec une certaine facilité : la société de demain sera la société de l'information. Il est dès lors vital pour toute entité vivant dans cette société de maîtriser au mieux les informations et partant, les documents tant externes qu'internes. Il ne s'agit plus de simples besoins, mais d'enjeux pas seulement stratégiques mais vitaux.
 

 II.  LES ENJEUX DOCUMENTAIRES DE L'ENTREPRISE

Jean Pintéa, dans un chapitre de son ouvrage à paraître9, a largement évoqué ces enjeux vitaux pour l'entreprise. Nous renvoyons le lecteur à ces lignes. Nous nous bornerons ici à lister selon une classification légèrement différente ces enjeux.
 

 A. La documentation image du monde extérieur : les produits

Nous visons ici l'activité classique d'un "centre" de documentation. Avec l'élaboration de divers produits documentaires : bibliothèque, banque de données, bulletin d'information, revue de sommaires, bulletin bibliographique, dossiers thématiques...

 B. La quête d'information externe : la recherche documentaire

Nous évoquons plus ici l'aspect "service" de documentation. Il s'agit de répondre aux demandes d'information, soit ponctuelles (recherche classique), soit profilées (diffusion sélective d'informations). Cette démarche part de l'expression d'un besoin. La phase d'analyse fonctionnelle de cette demande est à notre sens trop négligée, même si elle est souvent faite intuitivement (artistiquement !). Cette analyse conditionne l'excellence de la réponse, sa qualité, c'est-à-dire dans ce cas la meilleure adéquation entre la demande et la réponse fournie.

 C. La veille informative

La démarche de veille elle aussi gagnerait sans doute à être mieux formalisée. Vue au travers de certaines pratiques, elle constitue en quelque sorte la démarche inverse de la recherche documentaire : on part des informations captées. Celles-ci sont pondérées, vérifiées, recoupées, etc. Une fois validées, elles constituent des solutions qui sont traduites en termes de fonctions, lesquelles sont transmises aux demandeurs potentiels aux besoins desquels ces fonctions correspondent. Mais toutes les pratiques de veille n'entrent pas dans ce "moule" présenté à titre d'exemple.

 D. Pour les trois derniers axes, nous renvoyons simplement aux développements proposés par Jean Pintéa :

 - La documentation garant du savoir-faire interne
 - La documentation interne en mouvement : les gains de productivité
 - La documentation outil d'aide à la décision
 

III. SRATÉGIE D'ANCRAGE DU SERVICE DE DOCUMENTATION CLASSIQUE

Nous utilisons volontairement ce terme d'ancrage. Il est bien évident qu'en période de tourmente économique et plus sérieusement même, en période de rigueur de gestion - aurait-on jamais dû perdre ce cap de vue dans les entreprises, même dans les années plus "faciles" des trente glorieuses ? -, ce sont les services les moins solidement ancrés qui partiront les premiers à la dérive.
C'est là que les qualités professionnelles du responsable peuvent tout simplement sauver le service. Nous grouperons ces qualités professionnelles autour de trois axes.

  A. Efficacité et professionnalisme

L'efficacité sera d'abord intellectuelle. Elle sera appuyée par la maîtrise des méthodes de traitement intellectuel de l'information. Méthodes classiques : description bibliographique, indexation, résumé, synthèse, maîtrise des outils de recherche et du système d'information sectoriel dans lequel l'entreprise est immergée (lieux et personnes ressources du domaine...).
C'est généralement sur ce terrain que les documentalistes se sont le mieux et le plus efficacement investi. L'aspect de réseau, formel ou informel, souvent très présent, illustre même l'effort de rationalisation de ces qualités (dépouillement partagé des périodiques, adoption de règles de travail communes, recherches d'informations appuyées par les collègues du réseau10).
Il semble important de souligner à quel point la maîtrise de ces méthodes intellectuelles est notre force. C'est ce qui fonde non seulement notre spécificité, mais qui nous rendra indispensables, si nous savons nous placer là où il faut au moment où il faut, dans les projets documentaires plus globaux de l'entreprise. Rappelons-nous l'exemple des débuts de ce qu'on appelait alors "l'archivage électronique". Toutes les solutions proposées étaient aptes à stocker correctement des foules de documents. Seulement, au moment de retrouver ceux-ci le système péchait, faute d'avoir intégré au moment du stockage un minimum d'indexation, donc d'avoir pris en compte des éléments de traitement documentaire au sens intellectuel. Or ce traitement intellectuel est notre savoir-faire.

Même si elles sont fondamentales, au sens premier du terme, ces qualités intellectuelles ne suffisent plus aujourd'hui pour être à l'abri du premier coup de vent venu.

Le traitement de l'information a sa technique. Depuis des décennies, l'automatisation du traitement de l'information s'appelle informatique... Et très tôt - dès les années soixante - on a mis en place des applications de ce qu'on appelait alors l'automatisation documentaire. Aujourd'hui cet âge des pionniers est passé et l'informatique est totalement domestiquée. Elle est devenue l'outil par excellence de tout type de traitement de l'information. Cet outil a donc vocation à servir les documentalistes. Dans leur traitement de l'information d'abord. Mais l'enjeu est encore plus profond.
Le document de demain sera numérique. Le texte est numérisable depuis longtemps. Sa présentation l'est devenu depuis moins de temps (environnement graphique, présentation "WYSIWYG", sur laquelle plus personne ne s'extasie tant elle est devenue banale). Le son et l'image sont aussi numérisables. Les réseaux à intégration de services se sont développés. Tout est prêt pour le tout numérique : les autoroutes de l'information d'une part, le multimédia d'autre part sont l'éclatante illustration d'un avenir numérique.
Dès lors la connaissance et la maîtrise des technologies de l'information deviennent aussi indispensables à la crédibilité des documentalistes que les méthodes intellectuelles évoquées plus haut.

Sur ce terrain au moins, la technologie évoluant très vite, les documentalistes en mal de survie ont l'impératif devoir de mettre à jour leurs connaissances et leur pratique. La réactivité est devenue la règle pour tout bon professionnel, et les écoles de formation doivent moins que jamais former statiquement mais bien plus apprendre à apprendre.

Quand bien même un bon documentaliste maîtriserait à fond ces deux premières séries de qualités, il devrait encore ajouter, pour être un responsable irréprochable, de solides connaissances de gestion.

 B. Rigueur de gestion

Le responsable documentaire doit savoir gérer au plus près le budget de son service. Encore faut-il qu'il en ait les moyens, qu'on les lui donne ou qu'il les réclame. Comment par exemple être à même de calculer les coûts indirects d'un produit documentaire alors que le responsable du centre de documentation n'a pas connaissance du budget de son personnel ?11
Comment, à partir de là, défendre solidement un projet documentaire auprès de sa hiérarchie et face aux autres directions ?
Ces considérations de défense d'un projet nous amène aux préoccupations de marketing et de communication du service.

 C. Marketing et Communication

Gérer un service est une excellente chose. Inscrire cette gestion dans la durée en est une meilleure. Ce sera le rôle d'un plan marketing et d'une stratégie que d'assurer ou au moins d'envisager la pérennisation de l'entreprise que constitue ce service documentaire.

Sans plus de détails sur le marketing, nous joindrons à ce tableau les nécessités d'une bonne communication. On parle beaucoup de l'image des documentalistes, des services de documentation même. Afin d'assurer une lisibilité de ces services, il convient de communiquer. Mais nous n'entendons pas par là une simple communication de style publicitaire pour faire parler du service. Il s'agit là tout sérieusement d'affirmer haut et fort l'existence du service, de son rôle et de ses missions, et de faire reconnaître ceux-ci au sein de la structure de l'entreprise12.

Sans doute pourrions-nous rattacher cet aspect de la stratégie à la notion de positionnement en marketing, mais appliquée en interne : positionner, c'est-à-dire délimiter les rôles et missions du service par rapport aux autres directions et services de la maison. Nous touchons là au fond de notre sujet...
 

IV. ÉVOLUTION VERS LES AUTRES FONCTIONS DOCUMENTAIRES DE L'ENTREPRISE

Si nous abandonnons le terrain de la documentation externe pour évoluer vers les autres prestations de service documentaire attendues par l'entreprise, de vastes terres s'ouvrent à nous. D'emblée redisons que ce qui fonde notre vocation à être présents sur les nouveaux marchés documentaires de l'entreprise, c'est que nous possédons les méthodes intellectuelles que d'autres professionnels n'ont pas. Pour le reste, certaines mutations culturelles sont à envisager.
Sur ce terrain des nouveaux marchés documentaires de l'entreprise, il semble inutile de sombrer dans le corporatisme ou le protectionnisme. Certes ces marchés sont prometteurs et encore une fois, il faut avoir la conscience positive qu'ils nous sont destinés pour peu qu'on intègre les connaissances qui nous manquent. Mais à l'inverse d'autres professionnels tels que les informaticiens, par exemple, peuvent venir occuper ce terrain. Et dans la mesure où ils s'approprieront nos méthodes, ils entreront dans notre secteur de l'information-documentation.

Mais par ailleurs, il est certain que nous ne serons pas seuls sur ces nouveaux terrains, pas plus que nous ne le sommes aujourd'hui dans notre activité plus classique. Des stratégies d'alliance deviennent indispensables. La notion de travail d'équipe et son pendant, celle d'interdisciplinarité, sont plus que jamais à l'honneur. Nous ne prendrons qu'un exemple pour illustrer un possible avenir.

Un projet documentaire tel que la gestion de la documentation technique d'une centrale nucléaire met en oeuvre les connaissances et le travail des ingénieurs du domaine, des bureaux d'étude, mais aussi des informaticiens chargés de la maintenance de l'outil technique, des services utilisateurs, des services administratifs, etc. ainsi bien sûr que du concepteur global du système. Or ce concepteur doit être cet être aux compétences intellectuelles fortement teintées de connaissances en information-documentation. Pourquoi ce chef de projet ne serait-il pas issu de nos métiers ?13

Le documentaliste ne va-t-il pas devenir cet "honnête homme", manager aux compétences intellectuelles générales capables de coordonner une équipe d'experts techniques de divers domaines et d'orienter le tout avec ses connaissances informationnelles ? Espérons avoir montré que cette possibilité n'a rien d'illusoire pour peu qu'on le veuille.
 
 

        Didier Frochot -  Février 1995
Mise en page Web : octobre 1999
Retour à la bibliographie de Didier Frochot

Notes du texte ci-dessus

1  Je reprendrai ici la formule déjà connue de mes élèves de l'INTD et de l'IRTD : pendant des décennies les documentalistes ont su maîtriser un savoir-faire, mais pas le faire-savoir... Retour au texte

2  L'ancien délégué régional et président du Conseil des régions de l'ADBS que je suis préfère utiliser le terme de région à celui - hideux disait Malraux - de province. Retour au texte

3  Je suis d'autant plus à l'aise pour affirmer cette réalité qu'à l'origine, je fais moi-même  partie de ces professionnels formés sur le tas. J'ai pu constater les manques que cela engendre lorsque j'ai confronté mes premières expériences avec les formations auxquelles j'ai participé ultérieurement. Retour au texte

4  La formule est de Laurent BERNAT : "Pour en finir avec la crise d'identité des documentalistes !" Mémoire du cycle supérieur de l'INTD 1994. C'est  nous qui soulignons. Retour au texte

5  Qu'il me soit permis d'évoquer un souvenir personnel : lorsqu'en 1983, siégeant pour la première fois au Conseil d'administration de l'ADBS, j'ai demandé à ce qu'on réfléchisse au marketing de la documentation, je me suis heurté à un mur d'incompréhensions. Certains ont cru que j'allais m'occuper de la promotion de l'association... Les mieux intentionnés comprenaient confusément la nécessité d'une telle réflexion mais n'étaient pas armés pour comprendre les mutations que cela supposait. Trois ans après, il ne se passait pas une réunion de responsables de l'ADBS sans que le mot marketing soit prononcé. L'idée avait fait son chemin. La voie était ouverte pour que les ouvrages de fond sur la gestion et le marketing des services de documentation paraissent. Retour au texte

6  Pour la petite histoire, cette idée n'est pas nouvelle. Elle circulait déjà dans certains milieux proches de l'organisation de l'entreprise et même au plus haut niveau de l'ADBS. C'est ainsi Louis Giraud, ancien délégué général de l'ADBS, qui le premier m'en a parlé en 1986 comme une des perspectives d'évolution de la profession. J'avoue avoir fait frémir des promotions d'élèves en évoquant ces questions qui remettaient en cause l'image classique qu'ils se faisaient du métier... Aujourd'hui il n'est plus question de frémir, mais d'agir pour conquérir les parts de marché de l'emploi que nous sommes en train de laisser partir à la concurrence. Retour au texte

7  Nous ne développerons pas davantage cette très intéressante question du rôle des informaticiens. Elle est plus complexe, plus stratifiée historiquement que la présentation rapide ici faite le laisse supposer, nous en sommes très conscient. Retour au texte

8  Là encore, pour avoir participé aux premiers travaux de valorisation de la profession à l'ADBS (la première plaquette nationale de présentation du métier), j'ai vécu cette difficulté, cette lente prise de conscience de ce que nous sommes profondément. Retour au texte

9  Le chapitre reproduit dans ce docmuent. Retour au texte

10  J'ai été frappé, lorsque je suis entré dans ce métier, par la solidarité du réseau informel, par l'aide qu'on pouvait en retirer et réciproquement, qu'on pouvait apporter. Par exemple, il suffit de s'annoncer documentaliste pour voir s'ouvrir les portes de n'importe quel centre de documentation et accéder à des documents, des informations que d'autres auraient les plus grandes difficultés à obtenir sans ce sésame... Retour au texte

11  Nous sommes toujours frappés de constater, au travers des visites-découvertes de début d'année de l'INTD que les responsables de nombreux centres ignorent les coûts de leur personnel, ce chiffre étant détenu par la direction du personnel. Assez traditionnellement ce chiffre ne fait pas partie de ce qu'on appelle le budget du centre qui se limite donc aux achats de documents, abonnements, consommation de banques de données, etc. Retour au texte

12  Une anecdote rapportée lors de ce colloque sera sans doute plus parlante qu'une longue démonstration. Le directeur des ressources documentaires d'un grand organisme économico-financier avait soigneusement monté un projet de GED, avec comité de pilotage, société de conseil extérieure, etc. Il a été dessaisi du projet en réunion des directeurs de la maison au profit de la direction informatique. Renseignement pris, ni les missions de la direction informatique, ni les missions de la direction des ressources documentaires ne sont clairement définies. Dès lors tous les flous sont permis et tous les chevauchements de compétences sont à craindre. Malgré l'importance de la direction des ressources documentaires, qui n'est pas un petit service de documentation local, le poids de l'informatique, conjugué à l'image encore tenace de la documentation a abouti à la décision de transfert de la responsabilité du projet. Retour au texte

13  Dans le même ordre d'idée, une réaction significative lors du colloque mérite d'être rapportée. La place de directeur des ressources documentaires a été évoquée dans les débats comme n'étant pas celle qui était la plus porteuse pour un avancement de carrière... Certaines participantes documentalistes ont protesté en affirmant qu'on pouvait parfaitement s'épanouir en restant chef du service de documentation sans pour autant briguer la place de directeur général de l'entreprise. Mais au fond, par-delà le choix de carrière, pourquoi faudrait-il admettre comme une fatalité que le directeur des ressources doumentaires, homme-clé de l'information, matière première reconnue comme essentielle dans l'entreprise, n'ait pas vocation à devenir directeur général au même titre que le directeur financier ou informatique ? N'y a-t-il pas contradiction quelque peu jésuitique à reconnaître le rôle stratégique de l'information dans notre société et à nier à son responsable l'envergure pour présider aux destinées stratégiques de l'entreprise ? Cette anecdote dénote un état d'esprit tout proche de celui qui freine l'avènement des spécialistes de l'information-documentation aux postes-clés. Il est significatif que cette état d'esprit ait été relayé par des documentalistes... Retour au texte