Quel nouveau management de l'information ?

Séminaire des 14, 15 et 16 mars 1995 dans le cadre des Carrefours Logistiques
Compte rendu paru dans
Documentaliste, Science de l'Information
janvier-février 1996


Mise en page Web : octobre 1999



 
 

La société BECCOM organisait les 14, 15 et 16 mars 1995, dans le cadre de ses Carrefours Logistiques trois journées de conférences sur le thème "Maîtriser les interactions de l'organisation et de la technologie documentaires : le véritable enjeu".
Les journées d'étude, colloques et séminaires ne manquent pas sur les sujets du management de l'information, des stratégies documentaires, de l'efficacité de l'information documentaire. C'est sans aucun doute le signe de notre entrée de plain-pied dans la société de l'information : la conscience des décideurs au sein des entreprises se focalise sur ce double enjeu : la gestion de l'information et celle des documents.

Partis d'une prise de conscience de type instrumental : comment gérer, avec quels outils les documents et l'information, internes ou externes, utiles à l'entreprise ?, on en arrive doucement mais fermement à une conscience plus vaste, plus managériale : Comment mieux gérer l'entreprise en s'appuyant efficacement sur cette richesse que représente l'information et les documents disséminés dans les divers services ?

A la première phase, dans les années 80, a correspondu tout d'abord l'époque de l'archivage électronique. On se préoccupait alors de la place encombrante que prenait le "fatras documentaire" de l'entreprise. L'objectif dominant résidait dans un gain de place  et donc dans une réduction des coûts de stockage. Puis, toujours dans cette première phase, on s'est aperçu que, les documents étant ainsi archivés, il était difficile de retrouver l'information qu'ils contenaient, tout simplement parce qu'on n'avait pas pensé le stockage dans une optique de "retrouvage"  de l'information, c'est-à-dire que les concepteurs des systèmes d'archivage n'avaient pas songé à recourir à une analyse et une indexation sérieuse des documents engrangés, c'est-à-dire du repérage de l'information contenue dans ceux-ci. On s'est donc empressés, chez les prestataires de services d'archivage électronique, de réinventer quelques techniques documentaires pour pallier ces difficultés. Et il est vrai qu'aujourd'hui la plupart des systèmes de GED, nouveau nom de l'archivage électronique, prennent en compte cette question de l'indexation en amont des documents. Nous commençons donc à disposer d'outils de gestion des documents de l'entreprise de qualité.

Dès lors, et l'intégration des nouvelles technologies dans toutes les strates de l'entreprise aidant, la fascination quasi-mythique de l'outil informatique cesse de jouer. L'outil redevient ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un simple outil, au même titre que le papier et le stylo. Parallèlement à cette normalisation des rapports outil-utilisateur, la recherche de nouveaux gains de productivité au sein de l'entreprise s'est développée. En effet, dans la course mondiale pour la compétitivité, il semble que les postes les plus logiquement "rationalisables" aient étés explorés. La robotisation de l'industrie, la bureautisation du tertiaire, pour ne citer que deux exemples, sont derrière nous. En revanche, il est une denrée impalpable, inodore, incolore et sans saveur mais ô combien stratégique et politique, au sens large du terme, que personne encore n'a osé regarder de près. C'est bien sûr l'information et son indissociable support : le document.

C'est là qu'à mon sens le séminaire annuel des Carrefours Logistiques apportait sa pierre à l'édifice en constante mutation du management documentaire. Il rendait en effet compte de cette récente prise de conscience des managers : l'information documentaire devient partie prenante de l'organisation et de la gestion de l'entreprise. On cesse de s'intéresser à l'outil pour lui-même ou comme gadget, mais comme outil de gestion et, plus largement encore comme élément stratégique du management de l'entreprise.

Aujourd'hui les documents ne sont plus considérés comme un stock pur et simple,  géré par un technicien spécialisé. Les informations ne sont plus vues comme de simples flux de données. On s'aperçoit  que derrière tout cela il y a du savoir, de la connaissance. Ainsi émergent les thèmes de ressources documentaires garantes du patrimoine de savoir-faire de l'entreprise . De technique, l'enjeu devient intellectuel. Comment mieux gérer ce patrimoine qui représente en potentialité la richesse première de l'entreprise ?

A ce titre, trois conférences pouvaient retenir l'attention, en ce sens qu'elles annoncent la nouvelle tendance du management de l'entreprise.
La premère des interventions notable était celle de Pascal CHEVALIER sur l'apport du workflow dans les processus industriels. On peut définir le workflow comme la maîtrise et le partage des flux d'information à propos d'un processus. Ce processus peut être industriel (chaîne de fabrication, opération de transformation de matières...) ou administratif (suivi de procédure d'instruction de dossier, respect des formalités et des délais...). Cette intervention démythifiait et replaçait les uns par rapport aux autres des termes aussi ronflants que GED, GEIDE, documentique, ingénierie documentaire, groupware, workflow... Encore très attachée à la technique, cette intervention n'en replaçait pas moins celle-ci dans un contexte plus vaste de gestion et de management : quel choix de solution technique doit-on faire en fonction des besoins exprimés ? Ainsi l'ingénierie documentaire n'est-elle pas que la mise en oeuvre du "génie" d'un informaticien, mais plus largement la rencontre pensée et organisée de plusieurs compétences : managers, organisateurs, utilisateurs du système, et informaticiens.

La deuxième intervention à retenir était celle de Serge LEVAN, consultant, auteur du seul ouvrage français écrit à ce jour sur le groupware  et intitulée "Le groupware, un projet de management d'abord, un projet informatique ensuite". On le devine par le titre, cette intervention mettait fortement l'accent sur la nécessité de penser l'intégration d'un outil technologique tel que le groupware - quel que soit par ailleurs le logiciel mis en oeuvre - et de le penser en termes d'organisation de l'entreprise et donc de gestion des personnes, des charges de travail, des projets à conduire... On avance ainsi d'un degré dans l'intégration managériale du phénomène information dans l'entreprise. Compte tenu du concept et de l'outil visé (groupware), c'est plus au pôle information qu'à celui de document que la réflexion progresse. Mais la solution du problème présupposé (meilleur fonctionnement de l'entreprise) est avant tout organisationnelle. Elle n'est qu'accessoirement instrumentale : choix du groupware et, en dernière analyse, choix du logiciel de groupware.

La troisième communication était sans doute la plus remarquable. Elle était assurée par Olivier BENOIT, consultant, et concernait le langage commun d'information (LCI) dans l'entreprise. Pour garantir une communication cohérente au sein de l'entreprise et avoir l'assurance que tout le monde se comprend et travaille sur les mêmes bases, il convient d'adopter un langage commun d'information, notamment pour classer les documents de l'entreprise. Ainsi reparaît le bon vieux plan de classement, paré de vertus nouvelles : cohérence de langage, outil fédérateur de la culture de l'entreprise, et avec des aspects nouveaux : notices explicatives des termes utilisés comme dans un thésaurus, et bien entendu gestion automatisée du classement des divers documents. Une illustration d'application d'un tel langage commun d'information était présentée. Elle faisait apparaître clairement la rationalisation et les simplifications administratives, les gains de temps et donc d'argent qu'engendre une telle démarche. On quitte, ici, délibérément le domaine de l'instrumental pour rentrer dans notre domaine d'élection : le traitement intellectuel de l'information. Le plus novateur de la démarche est que les méthodes documentaires, qu'on s'obstine encore trop souvent à cantonner  à la documentation externe de l'entreprise, deviennent la base de la réorganisation, du management de l'entreprise. L'originalité d'une telle vision réside dans le fait que toute l'organisation de l'entreprise repose sur l'information et sa circulation. Un peu partout encore, on s'attache à réorganiser l'entreprise pour que l'information circule mieux. Olivier Benoit, lui, inverse les propositions : il réorganise l'information pour que l'entreprise fonctionne mieux. Le corollaire de cette proposition est que tout naturellement il rend leur place fondamentale et stratégique aux gestionnaires de documents et d'information au sein de l'entreprise, au côté des managers. Non seulement il le dit, mais encore il le fait. Sa société de conseil n'a pas hésité à recruter un tout jeune diplômé de l'INTD, non pas comme "documentaliste", mais comme consultant-junior.
Il se pourrait bien que là soit la réelle révolution culturelle des entreprises, "réelle" en ce sens que loin d'être un débat de penseurs, il s'agit d'une méthode de réingénierie qui fait ses preuves dans un nombre croissant d'entreprises. Il y a là un phénomène à suivre de très près pour l'avenir de l'information-documentation.
 
 

        Didier Frochot - décembre 1995

 

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