Droit de reproduction et documentation
Un nouvel avatar législatif
Publié dans le
Bulletin bibliographique de l'INTD
Numéro de Janvier 1995
Mise en page Web : octobre 1999
N.B. La petite flèche
permet de revenir à la consultation de la page dont vous venez.
Le parlement, convoqué en session extraordinaire, vient de voter,
en procédure d'urgence, le nouveau texte de loi sur le droit de
reproduction. Ce texte ajoute au code de la propriété intellectuelle
3 articles et en modifie un autre1.
En deux mots, la loi aménage la cession automatique par l'auteur
de son droit de reproduction par reprographie à une société
de perception et de répartition desdits droits2.
Elle prévoit en outre une procédure d'agrément pour
les sociétés en question, procédure qui sera définie
par un décret en Conseil d'Etat3.
Cette mini-réforme est remarquable à plus d'un titre.
Elle m'inspire "à chaud" les observations suivantes.
1) Le triomphe de la confusion entre droit de l'auteur
et droit de l'éditeur
J'ai déjà souligné à plusieurs reprises à
quel point la position des éditeurs français était
mal fondée lorsqu'ils se placent résolument et obstinément
sur le terrain du droit d'auteur4.
Il est évident que le droit d'un éditeur sur les publications
qu'il diffuse se fonde plus sur la notion d'investissement économique
que sur un prolognement du droit des auteurs qu'ils publient. Même
si juridiquement les éditeurs sont les représentants des
auteurs, le contrat qui les lie aux auteurs est limité dans le temps,
l'espace et quant au nombre d'exemplaires tirés. Les éditeurs
ne peuvent donc se substituer aux auteurs pour percevoir des droits à
raison de photocopies effectuées en dehors du champ contractuel.
L'existence du CFC5
est pourtant entièrement fondée sur cet amalgame entre droit
de l'auteur et prétentions excessives des éditeurs6.
Qu'en est-il à présent ?
D'une certaine manière, la loi nous donne raison puisqu'elle
crée un système au terme duquel les "droits de reproduction
par reprographie" sont transférés à des sociétés
de gestion collective et non aux éditeurs. Ceux-ci ne sont d'ailleurs
pas cités une seule fois dans la loi mais sont soigneusement embusqués
sous le terme "d'ayants droit" des auteurs... Cependant cette disposition
ne lève en aucune manière l'ambigüité puisque
précisément les ayants droit des auteurs : héritiers,
légataires, mais aussi éditeurs, sont visés. Le législateur
prolonge donc la confusion sur les limites du droit d'auteur.
2) Enrégimentement des auteurs
La question nous intéresse moins directement, mais il faut souligner
que la disposition consistant à instaurer légalement une
cession d'une part du droit de reproduction de l'auteur à une société
de gestion des droits constitue une entorse exorbitante aux principes du
droit d'auteur tel qu'il est vécu en France depuis deux siècles,
notamment le principe de liberté de l'auteur. Les auteurs se trouvent
ainsi enrôlés de force dans un système qu'ils n'ont
peut-être pas voulu. Certes, le Parlement a sur ce terrain amendé
le texte du gouvernement, aménageant des portes de sortie pour les
auteurs. Mais l'esprit de la loi reste fondamentalement celui d'un dirigisme
qui déroge au principe de liberté de l'auteur.
3) Une réforme myope
Tout l'objet de cette loi, votée rappelons-le en urgence, est de
réglementer le paiement du droit de reproduction par reprographie7.
A l'heure où tous les milieux professionnels proches de l'information
et de la recherche communiquent via Internet et diffusent librement et
bénévolement leurs textes par ce réseau international,
à l'orée des "autoroutes de l'information" réclamées
par tous les politiciens, le législateur français réglemente
le paiement des photocopies ! Il est tout à fait regrettable qu'une
législation d'ensemble, réglant les questions communes à
tous les supports n'est pas été envisagée. C'est d'autant
plus dommage que la Commission de l'Union Européenne travaille à
un tel texte. La France risque bientôt d'être en porte-à-faux
avec les instances européennes et ses directives.
4) L'avenir immédiat
La loi prévoit l'agrément de sociétés de gestion
des droits. Les modalités d'obtention de cet agrément seront
précisées par un décret en Conseil d'Etat. Tant que
ce texte n'est pas sorti, aucune société actuelle (le CFC
par exemple) n'est légalement habilitée pour agir. Il est
donc recommandé d'attendre la sortie de ce décret pour aviser.
Il convient à présent de se battre sur le terrain des
tarifs et de démontrer clairement la place et le rôle que
chaque partie occupe sur ce terrain, depuis les auteurs jusqu'au consommateur
d'information ou de bien culturel, en passant par les éditeurs,
les professionnels de l'information-documentation, les libraires, etc.,
et bien sûr de maintenir la pression sur les pouvoirs publics.
5) Le lobbying de la profession
A quelquechose, malheur est bon. Alertée sur la question du droit
de reproduction, la profession s'est mobilisée, à l'occasion
de journées d'étude organisée par l'INTD-CNAM8
puis au travers d'un groupe de travail de l'ADBS. Bien organisée
dans la défense et l'illustration des métiers de l'information-documentation,
elle s'était fait entendre bien avant la sortie du projet de loi.
Le groupe de travail ad hoc et le bureau de l'ADBS ont donc pu très
rapidement réagir et faire connaître nos positions auprès
de parlementaires. Une véritable action de "lobbying" (pardon pour
cet anglicisme) s'est ainsi développée. Si elle n'a pas réussi
à faire prendre en compte nos positions (il faut une action de plus
longue haleine pour ce faire), elle a du moins fait connaître nos
métiers. Des parlementaires et non des moindres ont répondu
aux courriers qui leur ont été envoyés, les cabinets
des différents ministres concernés ont reçu des délégations
de l'association, les instances européennes ont souhaité
faire participer l'ADBS à une audition sur les aspects juridiques
des autoroutes de l'information. Pour la première fois, non seulement
les professionnels de l'information-documentation se mobilisent (ils l'ont
déjà fait par le passé), mais ils sont acteurs du
changement et leur avis est pris en compte dans les instances internationales.
Tout ceci est plutôt positif et nous ne pouvons que souhaiter continuer
à travailler dans ce sens.
Didier Frochot
Notes du texte ci-dessus
1- Loi n° 95-4 du 3 janvier 1995 "complétant
le code de la propriété intellectuelle et relative à
la gestion collective du droit de reproduction par reprographie" - JO du
4 janvier 1995. Ce texte ajoute donc les art. L.122-10 à L.122-12
et modifie l'art L.311-7. Retour
2- art. L.122-10 al.1 du CPI. Retour
3- art. L.122-12 al.2 du CPI. Retour
4- Cf les articles que j'ai signés
dans Documentaliste ou les actes des journées d'étude de
l'INTD. Retour
5- Centre Français d'exploitation du
droit de Copie. Retour
6- C'est ainsi que des organes de presse ont
vus le CFC leur reverser des droits de reproduction pour des auteurs non
rémunérés... Retour
7- Un alinéa du texte définit
la notion de reprographie : art. L.122-10 al.2 du CPI. Retour
8- Les actes de ces deux journées sont
disponibles à l'INTD. Retour